« Une pluie sans fin » : Un film aux symboliques « fleuves » !
Parmi les quinze films (treize nouveautés et de ressorties) arrivants, ce mercredi 25 juillet 2018, dans les salles françaises, se distinguent, au milieu de très grosses productions dont la grosseur des budgets est inversement proportionnel à l’intérêt des vrais cinéphiles, quelques films d’auteurs dont le polar chinois « Une pluie sans fin », premier film du réalisateur Dong Yue, « Grand prix du jury » au festival du film policier de Beaune (France) et « Meilleur contribution artistique » au Tokyo Film Festival (japon), où l’acteur principal – le célèbre Duan Yihong – a également reçu le prix du meilleur acteur.
Ayant assisté à l’avant-première de « Une journée sans fin », qui avait lieu au cinéma « L’arvor », de Rennes (France), ce mardi 24 juillet au soir, et étant ressorti convaincu par la réelle qualité du film, nous vous offrons un « focus » sur cette œuvre cinématographique.
« Une pluie sans fin » (très mauvais titre donné uniquement en France – dont le titre original signifie « Une grande tempête se prépare », également traduisible par « Le calme avant la tempête ») se situe dans une petite ville de la province du Henan (Sud de la Chine), dont les très vieilles et immenses usines composent l’essentiel du décor et célèbre pour son climat extrêmement pluvieux. Film « flash-back », celui-ci débute en 2008, le jour où Yu Guowei – le héros -, sort de prison. Mais la seconde scène s’enchaîne avec la troisième pour faire une transition qui nous ramène à l’intrigue de l’histoire, en 1997, juste quelques semaines avant la rétrocession de Hong Kong à la Chine par l’Angleterre.
Dans ce lieu et cette époque oubliés de « la Chine qui s’éveille », Yu, chef de la sécurité d’une usine, doté d’un véritable don d’enquêteur, va se prendre d’un intérêt tout particulier pour une série de crimes commis sur des jeunes femmes, tandis qu’il voit le corps sans vie de la troisième d’entre elles, sur les lieux du crime. Et, contrairement à la police, dont l’enquête piétine, Yu va, quant à lui, avancer très vite dans cette affaire qui, devenue d’abord une obsession pour lui, va carrément s’avérer son unique raison de vivre.
L’histoire utilise tous les ressorts classiques du véritable « polar » façon hollywoodienne et tient en haleine son spectateur par son scénario sans faille. Mais, limiter « Une pluie sans fin » à un « parfait polar » serait extrêmement réducteur ! Il ne faut pas perdre de vue que nous avons affaire, là, à un véritable film d’auteur, un film « d’art et essai », seul cinéma dont le but est de délivrer un message, à faire réfléchir, voire à dénoncer « le système », devant, sans cesse, contourner les comités de censure du monde entier en usant de symbolique que les premiers concernés comprennent. Et c’est ce que son réalisateur, Dong Yue, a encore mieux maîtrisé !
Toute la force et le véritable intérêt de « Une pluie sans fin » – lorsque, comme votre serviteur, l’on est pas du tout porté sur le genre « policier » -, c’est de nous parler, non pas d’un homme nommé Yu, pas plus que de quelques personnes assassinées par un tueur en série, le tout dans une ville où la pluie ne cesse quasiment jamais de tomber ! Car, en fait, au travers de Yu, c’est de la Chine dont parle son réalisateur – d’ailleurs, le film s’ouvre sur cette évidence, par l’éppélation du nom du héros qui, parce que la langue chinoise esst faite d’idéogrammes, celui-ci indique, pour chacune des trois parties qui composent son « identité » complète (Yu GuoWei), le « mot-clé » (l’idéogramme) originel, qui donne « Vertu », « Nation », « Magnifique ». Mais dont le nom de famille « Yu », prononcé autrement, signifie également « Inutile ». Ainsi, le réalisateur annonce bien le véritable sujet, le véritable « héros », de son film, à savoir cette Chine et sa population – plus particulièrement celle qui fut sacrifiée sur l’autel de la course à la puissance économique et qui, ayant tout donné d’elle-même, se retrouva, en 1997 – tournant historico-économique du pays -, sur le point de voir venir cette grande tempête qui l’emporta (d’où le titre original et l’intérêt de conserver celui-ci plutôt que de lui étiqueter un titre purement commercial!).
Cette symbolique s’appliquant pour chaque élément de « Une pluie sans fin », il serait long, fastidieux, et même inapproprié, puisque nous sommes ici pour parler « cinéma », avant tout, d’aller plus loin dans ces détails. De ce fait, portons, quelque peu, notre attention sur le style, l’esthétique, du film. Dong Yue, en véritable cinéphile qu’il est – s’étant nourri du cinéma états-unien par des copies illégales -, avoue être très influencé par des maîtres du genre policier comme Alfred Hitchcock et son célèbre « Sueurs froides », ou encore par « Conversation secrète», de Francis Ford Coppola, qui lui ont donné matière à la construction de la personnalité de ses personnages. Cependant, un autre film célèbre du genre est très présent, non seulement par le visuel de certaines scènes – tout particulièrement de celle où le héros poursuit le tueur en série, sous la pluie -, mais également par sa construction narrative (et même jusqu’au type de lieu servant de théâtre à la scène qui s’y déroule). Ce film, c’est « Seven », film de David Fincher, sorti en 1995, avec Brad Pitt dont l’on peut retransposer le personnage sur celui de Yu à plusieurs niveaux.
En dire beaucoup plus sur « Une pluie sans fin » serait tout à fait possible car le scénario possède plusieurs degrés de lecture, plusieurs messages que, même après trois ou quatre visionnages (personnellement, rien qu’en revoyant la bande-annonce, avant de rédiger cet article, nous avons découvert et compris d’autres choses qui nous étaient passées inaperçues), et des heures de réflexion nous n’aurions pas encore toutes décortiquées. Le mieux est donc d’inviter chacun et chacune à se rendre dans les salles de cinéma qui ont la bonne idée de proposer cet excellent film. Et ce, d’autant plus que les nombreux « non-dits » et « non-explicités » qui composent cette œuvre donneront autant de visions, d’interprétations, de ressentis, qu’il y aura de personnes à le voir.
Christian Estevez
N.B.: critique publiée sur le site de "Salama magazine", le 24 juillet 2017;