Le film est présenté en compétition au Festival de Cannes 2019.
Habitué à tourner à New York, Ira Sachs a posé pour la première fois sa caméra en Europe, entouré de comédiens originaires de plusieurs pays. Désireux de raconter des vacances familiales et sous l'impulsion de son collaborateur et coscénariste Mauricio Zacharias, qui a des origines portugaises, Ira Sachs a été séduit par l'idée de tourner à Sintra, un site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO : "C’est un nom qui a résonné en moi car j’y avais passé des vacances avec ma mère et mes deux soeurs quand j’avais 14 ans. Mais je ne m’en souvenais plus très bien. La collaboration avec Saïd [Ben Saïd, le producteur] m’a permis d’aller faire des repérages à Sintra pour voir si la ville pouvait correspondre au film".
Avant de se lancer dans l'écriture du film, le réalisateur a passé huit jours à Sintra accompagné d'un régisseur afin d'avoir précisément en tête les différents lieux de son histoire : "Sur place, j’ai divisé Sintra en trois étages. Le rez-de-chaussée, c’est Quinta de São Thiago, l’hôtel où la famille réside. Le 1er étage, c’est Pena Park, c’est-à-dire les jardins raffinés sous le château qui me paraissaient être un lieu absolument magique, comme une sorte d’Eden où l’on vient oublier le quotidien, la notion de bien et de mal, et où l’on vit le moment présent, ce qui vaut aussi pour le spectateur. Puis il y a le sommet, le sanctuaire de Peninha, qui inclut aussi bien la montagne que l’horizon. Cette structure a pu créer une sorte de narration autour de laquelle s’articule librement le film".
Frankie se déroule sur une seule journée, entre la matinée et la fin de l'après-midi. Ira Sachs explique ce choix narratif : "Ce temps condensé donne un côté théâtral quasi automatique aux différents éléments narratifs qu’on essaie d’introduire dans le film. Il y a unité de temps - tout se passe sur une seule journée - et c’est ce qui crée cette tension artificielle et structure les histoires. Ça a toujours été un élément important pour nous".
Ira Sachs a voulu aborder les thèmes de la mort et de la maladie auxquels il ne cesse de songer depuis qu'il a passé le cap de la quarantaine : "Bien sûr, j’avais déjà perdu des gens dans mon entourage, mais ce n’est qu’à la quarantaine que la maladie et la mort se sont immiscées de très près dans ma vie. C’est quelque chose d’intime qui m’a bien évidemment hanté, et je pense qu’il en est de même pour Mauricio [Zacharias]. Une très bonne amie a été victime d’un cancer du sein à la quarantaine et elle est malheureusement décédée juste après avoir fêté ses 50 ans".
Pour ce portrait de femme confrontée à la mort, Ira Sachs s'est inspiré de son amie Barbara Hammer, cinéaste expérimentale décédée en mars 2019. Malgré son cancer dont elle a souffert durant dix ans, elle n'a jamais laissé la maladie prendre le dessus : "On n’est pas dans un état perpétuel de mort, on est au contraire dans un état perpétuel de vie. Tant que la mort n’a pas frappé, on est en vie. Pour moi, le personnage de Frankie en est le parfait exemple".
Isabelle Huppert a contacté par mail Ira Sachs après avoir vu Love is Strange qu'elle avait apprécié. La comédienne et la réalisateur se sont rencontrés ensuite à New York en 2016 puis au Festival de San Sebastian où Brooklyn Village était présenté. Le cinéaste évoque l'actrice française : "C’est quelqu’un de très chaleureux. On a beaucoup de sujets de conversation en commun. Comme moi, elle aime parler de la vie, du cinéma, de la famille, de culture, des derniers potins et d’art. Au bout d’un an de conversations avec elle, je me suis aperçu que j’avais découvert une femme que je ne l’avais jamais vue incarner à l’écran".
Ira Sachs ne travaille pas sur le mode de la transformation avec ses acteurs. Il lui paraissait donc naturel d'attribuer un rôle d'actrice à Isabelle Huppert. Cela permettait aussi au personnage de Frankie de se démarquer de son entourage : "Les acteurs font partie d’une équipe et d’un groupe de personnes qui travaillent sur un film. Mais ce sont aussi ceux qui réalisent cette performance totalement extraordinaire tandis que le reste de l’équipe fait un travail plus ordinaire. La position de Frankie dans la famille, étant donné la crise à laquelle elle est confrontée, est assez similaire. Elle fait partie de la famille et pourtant, elle est face à son propre destin tragique".
Ira Sachs et le directeur de la photographie Rui Poças ont étudié de près le travail d'Eric Rohmer et de son chef opérateur Néstor Almendros sur Pauline à la plage et Le Genou de Claire. Ils ont décidé de ne jamais couper une scène avant qu'un personnage ne passe dans un autre cadre. Les acteurs devaient ainsi jouer des scènes entières avec très peu de coupures, injectant une forme de théâtralité au film : "on n’a jamais crié « Coupez » en ayant le désir d’aller chercher plus loin encore. Par conséquent, les acteurs vivent pleinement sous nos yeux. Je trouve que ça a donné un ton intéressant au film qui devient à la fois naturaliste et joyeux".
Pour Isabelle Huppert, jouer Frankie a exigé d'elle une forme de jeu "à l'état zéro" : "on est à la fin de quelque chose mais rien de cela ne se raconte vraiment, ni ne s’explique, ni ne se joue". Ira Sachs n'hésitait pas à la corriger quand elle injectait trop d'ironie dans son jeu car cela créait trop de fiction à ses yeux. La comédienne devait jouer le plus simplement possible, sans intention ni superflu : "Bizarrement, j’avais juste l’impression d’être là. C’est un sentiment assez curieux. Je me disais parfois : « J’espère quand même que l’on va me voir dans le film ! »". Cette manière de travailler, où on a l'impression de ne rien faire et que tout se raconte dans la vérité du moment, lui a rappelé Jean-Luc Godard, avec lequel elle a tourné Sauve qui peut (la vie) et Passion.