Le cinéaste portugais André Gil Mata a vécu à Sarajevo pour ses études. Dans cette ville qu'il ne connaissait pas du tout, il a commencé à faire des photos. C'est à ce moment qu'il a développé une idée l'obsédant et qui a donné lieu à Drvo : L'Arbre : celle d'un homme ayant vécu, au cours de son existence, deux guerres dans cette ville. Le réalisateur explique :
"Une des images les plus fortes que j’ai vues était celle des enfants qui allaient chercher de l’eau sous le feu des snipers. L’idée est venue de cette image, quelqu’un qui ne croit plus en l’humanité mais dans un état d’esprit de survie quotidien, se réveille tous les jours et fait ce qu’il doit faire. Les gens qui font face à des moments aussi difficiles se rapprochent. Je pensais au petit rôle de ce type dans la société, ramasser les bocaux et les remplir d’eau pour ses voisins devient un devoir commun."
André Gil Mata explique au sujet de la temporalité de Drvo : L'Arbre : "Je ne crois pas que le temps soit linéaire. Les calendriers nous préoccupent trop et demain est un autre jour - notre esprit est formé à penser d’une certaine façon. J’ai trouvé un moyen de passer d’un temps à l’autre en faisant suivre à la caméra un chemin en U. La caméra était placée devant la fenêtre, depuis le point de vue de l’enfant, et reculait dans la pièce. Puis elle se déplaçait le long du mur extérieur avant de revenir à l’intérieur. L’équipe s’inquiétait pour ce plan. Je voulais que les pièces semblent identiques, mais avec beaucoup de choses absentes, parce qu’au cours des années de guerre, ils avaient dû brûler des meubles pour se chauffer. L’équipe disait que ça ferait croire que c’était la maison du voisin. Moi, je ne voulais que rien n’indique que c’était la même maison."
André Gil Mata a conçu une image obscure qu'il a ensuite pu éclairer comme bon lui semble (ainsi, il a pu montrer ce qu'il souhaitait et laisser dans le noir ce qu'il ne voulait pas voir apparaître) : "C’est le seul moyen de créer un monde à soi, au cinéma et je suis convaincu que nous avons le devoir de créer un monde personnel dans un film. Je crois aussi pouvoir dire que c’est une chose en laquelle croient Joao Ribeiro (le directeur de la photographie) et Sandra Neves (la directrice artistique), et qu’ils la ressentent, à leur façon, bien entendu. C’est donc toujours un travail d’équipe. Une chose à laquelle je tenais principalement, c’est que «le danger» soit toujours suggéré, soit par le son soit par la lumière. L’obscurité peut être véritablement synonyme de paix, davantage que la lumière."
"Drvo : L'Arbre est un film qui a pour sujet la répétition cyclique de l’humanité dans le courant de la vie. Un rituel qui n’oublie jamais que la vie marche vers les morts. C’est un film fluvial, froid et nocturne. Dans une ville assiégée, la nuit, un vieil homme traverse un paysage d’hiver dans une barque et, sur le rivage, il voit un enfant blotti sous un arbre dénudé, auprès d’un feu maigre ; un enfant qui fuit la terreur de la guerre rencontre un vieil homme. Un miroir, une répétition à travers lesquels cet homme se réconcilie avec lui-même et ses souvenirs, et un enfant qui retrouve de la chaleur et l’espoir de rester en vie, tandis que la rivière se contente de suivre son cours."
Pour concevoir le style visuel du film, André Gil Mata s’est appuyé sur les travaux de nombreux peintres, dont Van Gogh. Côté cinéma, le metteur en scène s'est inspiré de La Nuit du chasseur. Il ajoute : "J’aime vraiment les réalisateurs capables de construire un décor à partir d’une idée. Les adaptations de Dickens faites par David Lean nous ont énormément inspirés également. Parmi les artistes yougoslaves, Trois de Petrovic est l’un des plus beau films que j’aie jamais vus, sa façon de travailler sur le son est incroyable. Dusan Makavejev, Zivojin Pavlovic, Ante Babaja sont des cinéastes qui devraient figurer dans l’Histoire du cinéma, de la même façon que Antonio Reis ou Margarida Cordeiro. Je pense que ce sera un jour le cas. J’adore évidemment Wiene, Murnau et Lang, même si nous n’en avons pas conscience, ce sont des références pour nous tous réalisateurs, des maîtres qui ont donné une nouvelle direction au cinéma, à l’époque."