Patricio Guzmán, cinéaste chilien exilé en France, réalise des documentaires magnifiques, rempli d’images d’une beauté saisissante. Son précédent ‘Bouton de nacre’ traitait de l’eau, qui modèle le paysage naturel du Chili et l’inconscient collectif de la nation. Celui-ci évoque la Cordillère des Andes, qui isole le pays du reste du continent et le réduit à peu de choses près à une longue façade maritime. Pourtant, cette approche géographique et géologique n’est à nouveau qu’un prétexte, encore plus évident que celui du documentaire précédent, pour ce qui travaille réellement le réalisateur : la césure définitive dans l’histoire chilienne que constitue le Coup d’état du 11 septembre 1973. Si Pinochet est aujourd’hui mort et enterré et si la dictature a depuis longtemps cédé la place à la démocratie, ses réalisations, notamment le fait que le pays ait servi de terrain d’expérimentation aux théories néo-libérales de l’école de Chicago, perdurent toujours à l’heure actuelle: quoiqu’il soit le pays le plus développé d’Amérique latine et que la pauvreté y ait nettement reculé, la société chilienne demeure profondément inégalitaire et une grande partie des ressources naturelles et des terres ont été privatisées, tandis que la mentalité des citoyens s’est adaptée à ce nouveau système concurrentiel et impitoyable, raison pour laquelle le cinéaste a le sentiment de ne plus reconnaître le pays qu’il a quitté voici presqu’un demi-siècle. Souvent lent, guidé par une voix off un rien professorale, ‘La Cordillère des songes’ ne vaut pas pour ce qu’on y apprend, ni pour ses paysages naturels, finalement peu nombreux. Il s’agit avant tout de l’exposé de la pensée d’un homme, qui a l’écho crépusculaire d’un testament politique. On écoute Guzmán tirer ce qui semble être une conclusion de plusieurs décennies d’une lutte culturelle menée depuis l’étranger, et ce qu’on y entend, à demi-mots, c’est l’aveu d’un échec et la reconnaissance d’une défaite : Il ne s’agit plus aujourd’hui de lutter, la partie est perdue, mais de rendre compte, de conserver la trace de ce pour quoi on a lutté.