L'ex-URSS, c'est ce gros puzzle frontalier de l'Europe où règne un perpétuel automne. Voilà en tout cas où s'arrête la connaissance occidentale du monde slave. On situe mal l'Ukraine et l'on peut encore moins remettre le conflit dans son contexte. La Guerre du Donbass, qui doit faire rire beaucoup d'anglophones, est pourtant de ces évènements majeurs, et de ces nombreuses inimitiés modernes où la Russie est militairement impliquée (*gros soupir*).
Il y a du journalisme dans la manière qu'a Loznitsa de reconstituer les scènes de la guerre. Chroniqueur et scénariste à la fois, il n'a cependant pas pour mission d'informer, et se tient loin des risques du documentaire en maniant avec brio les variations de rythme et la lenteur bureaucratique s'opposant à l'éphémère violence de l'action militaire. Au fil de ces plans longs, froids et fournis, on aura toutes les informations nécessaires pour tout comprendre (à condition de le vouloir), à commencer par la notion primordiale que, dans l'idée de certains séparatistes ukrainiens, l'ouest du pays est le refuge du fascisme depuis que la gentille Mère Patrie l'a chassé d'Europe, du temps où les grands-pères des journalistes venus d'Allemagne pour couvrir le conflit du Donbass étaient "forcément nazis".
Sous couvert de cette maussade et chimérique propagande rendue avec noirceur, et si son film va formellement dans le sens de la révolution, Loznitsa nous fait voir que tout est en réalité question de chronologie. L'Ukraine séparatiste peut se voir comme la continuation d'anciennes valeurs... ou bien à l'inverse comme une nouvelle Russie. Tout dépend de notre relation avec l'Histoire et de ce qu'on considère comme étant le début d'une ère. Mais ce n'est pas notre place, ni celle du réalisateur, que d'en juger. Sa conclusion, c'est seulement que le pays arrive au moins à une chose : la conciliation de la modernité avec l'immaturité.
Sans condescendance (et donc à l'inverse de moi qui admire ce recul que je n'aurai jamais), Loznitsa tire le portrait d'une nation qui ne vit pas vraiment sous un nouveau régime, pas plus qu'elle ne connaît de réelle abolition de l'ancien, ni qu'elle n'est dans son tort, ni aveugle : sous la prise de partie de l'image, Loznitsa cache une neutralité inattendue.
Le cinéaste, spectateur de son propre film, s'en sert comme d'un réceptacle aux erreurs de jeunesse de son Ukraine natale. Il s'agit exactions atroces quand on les voit à la télévision, mais qui dans Donbass ont bien plus de poids et de réalité. Tout le génie de l'œuvre est dans ce paradoxe où la vision la plus fictionnalisée devient la plus marquante, où la création artistique permet la vraie douche froide qui nous fait changer d'avis sur la réalité un pays entier, plus qu'une représentation "réelle" et en direct qui, à l'inverse du cinéma, ne permet pas d'intégrer directement le contexte.
Loznitsa envoie un générique discret par-dessus un plan qui est fixe depuis de longues minutes. Le message est passé, la réflexion suivra. Ou non.
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