''La Trinchera Infinita'' ou ''Une vie secrète'' (2019) est le nouveau excellent film espagnol du trio basque - Jon Garaño, Aitor Arregi et José Mari Goenaga, trois réalisateurs qui travaillent ensemble depuis plus de vingt ans -, après les deux très bons films : Loreak (2014) y Handia (2017).
Ce dernier raconte l'histoire d'un couple - Higinio et Rosa -, particulièrement l'histoire d'Higinio, un ''topo'', partisan républicain qui voit sa vie menacée lors de l'arrivée des troupes franquistes, en 1936, dans un petit village de Huelva en Andalousie, dans le sud-ouest de l'Espagne. Et, avec l'aide précieuse de sa femme, il va construire un trou dans le mur du salon de sa maison où il sera enfermé et caché pendant plus de 30 ans, par peur des représailles des troupes franquistes, il subira la peur et l'enfermement perpétuel dans ''une vie secrète''.
Les deux protagonistes, Antonio de la Torre (''La colère d'un homme patient'' (2016), ''Que dios nos perdone'' (2016), ''El reino'' (2018) et Belén Cuesto, qu'on a récemment aperçu dans ''La Casa de Papel'' saison 4 et qui a notamment remporté le Goya 2020 de la meilleure actrice pour ''La Trinchera Infinita'', sont tous deux excellents, ils portent tout le film sur leurs épaules. Chaque scène est formidablement bien tourné, et la prestance de ces deux derniers se fait ressentir à chaque instant, autant lorsqu'Higinio se retrouve seul, caché et enfermé derrière le mur du salon, et autant lorsque Rosa continue de vivre seule et/ou en présence de son mari caché pendant 30 ans, de 1936, début de la guerre civile (1936-1939) à 1969, loi d'amnistie promulguée par le gouvernement franquiste qui ''oubliait'' l'ensemble des actes commis par les espagnols républicains avant 1939.
D'un point de vue narratif, ce qui est clairement intéressant est la chronologie utilisée par les réalisateurs, c'est-à-dire que nous suivons l'histoire d'Higinio et son enfermement pendant environ 33 ans, durant une époque où l'Espagne rencontre de multiples événements majeurs de son histoire : la guerre civile (1936-1939), l'avènement de Franco au pouvoir et le début de la dictature franquiste (1939 jusqu'en 1975), la Seconde Guerre Mondiale (1939-1945) où Higinio s'intéresse vivement à la situation mondiale ainsi que la position des Alliés, la rencontre culte d'Eisenhower et de Franco à Madrid du 21-22 décembre 1959, les débuts du tourisme de masse en Espagne dans les années 60 jusqu'à l'amnistie signée par Franco de la persécution des délits et crimes de guerre, en 1969. Tout cela est suivi par Higinio à l'écoute de la radio, à la lecture des journaux puis via la télévision lorsque celle-ci apparaît en Espagne dans les années 60.
De plus, le long-métrage est composé à partir de chapitres intitulés par des définitions de divers termes - Franco, enfermement, sortir, etc., - représentant la vie espagnole entre 1936-1975 et surtout la vie d'Higinio de manière métaphorique, implicite et symbolique.
Par ailleurs, en 2019, dans le panorama cinématographique espagnol, nous retrouvons deux excellents films dont le sujet traite de la guerre civile et de ses conséquences sur des personnages historiques et fictifs : Mientras dure la guerre (Alejandro Amenábar) et La trinchera infinita. Ce dernier est nettement plus poétique. Dès le départ, les réalisateurs se retrouvent caméra à l'épaule en suivant une course poursuite effrénée d'Hignacio et des troupes franquistes dans la sierra. De plus, la photographie, toujours dans une constante ambivalence entre obscurité et lumière, donne l'impression que nous sommes devant les plus grands tableaux picturaux du mouvement du clair-obscur tels ceux de Veermer par exemple. À la différence de Mientras dure la guerre, où Amenábar raconte l'histoire ''réelle'' en s'intéressant à Unamuno et particulièrement à son discours donnée à l'Université de Salamanque du 12 octobre 1936 en présence de Milán Astray et la femme de Franco, où il exprime, de manière trop tardive, son opposition au franquisme et à ses valeurs; La Trinchera Infinita aborde la ''microhistoire'' à partir de la fiction, en inventant le personnage d'Higinio qui interprète un topo fictif et les réalisateurs nous proposent une vision de ce que fut un ''Topo'' durant ces années sombres de l'histoire espagnole, en s'inspirant notamment du documentaire 30 años de oscuridad (Manuel H. Martín, 2011) qui raconte la vie de Manuel Cortés, maire d'une ville de la province de Malaga durant la Deuxième République espagnole et qui a vécu durant plus de trente ans, caché et enfermé à l'instar d'Higinio. Puis pour finir, le film d'une durée de 2h27 peut laisser quelques personnes sur le carreau de par sa longueur. Néanmoins, on ne s'ennuie à aucun moment, nous suivons l'histoire d'Higinio dans le panorama historique espagnol avec grand intérêt et l'interprétation des deux acteurs nous permet de jamais s'ennuyer.
La Trinchera Infinita est un excellent long-métrage en ce début d'année scolaire, qui devait sortir au printemps dernier mais qui fut reporté en raison de la crise sanitaire. Il sort officiellement en France le mercredi 26 octobre, et si vous souhaitez voir un grand moment cinématographique provenant du cinéma espagnol, ce film est pour vous !