Avec Haut et fort, Nabil Ayouch a voulu faire un film donnant la parole à la jeunesse. Une envie liée à l'histoire du réalisateur. A son adolescence, dans les années 1980 à Sarcelles, il a appris à s'aimer grâce aux arts et à la culture. Des années plus tard, il s'est rendu à Casablanca tourner Ali Zaoua, Prince de la rue et Les Chevaux de Dieu. Le metteur en scène se rappelle :
"J’avais envie de laisser une trace dans ce quartier, en banlieue de Casablanca. Alors, j’ai créé la fondation Ali Zaoua pour faire naître au Maroc des centres culturels et offrir à ces jeunes la même opportunité que j’ai eue quand j’étais gamin. On a ouvert cinq centres à ce jour et celui de Sidi Moumen, qui est dans le film, c’est le premier. J'ai envie de rendre hommage à tout ce que ces endroits m’ont apporté."
Le fait d'axer Haut et Fort sur la thématique du hip hop est né d'une rencontre qu'a faite Nabil Ayouch. Un jeune rappeur s'est en effet présenté au centre avec l'envie de transmettre sa passion : "Il nous propose un programme « La Positive School of Hip Hop », des cours pour apprendre aux jeunes à s’exprimer et à écrire sur leur vie. C’est Anas, qui est devenu le personnage central du film. Je l’ai observé pendant un an avec ces jeunes, je l’ai vu les faire travailler, écrire, réécrire, leur donner confiance en eux. Un jour, ils ont monté un concert et je les ai trouvés incroyables", se rappelle le cinéaste.
Haut et fort a été présenté en Compétition au Festival de Cannes 2021. Le réalisateur est un habitué de la croisette puisque Much Loved a été sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs en 2015 et Les Chevaux de Dieu a obtenu le Prix François Chalais en 2012 (Un certain regard).
Nabil Ayouch a travaillé avec de jeunes acteurs non-professionnels. Même si, pour certains, le réalisateur s'est inspiré de leurs parcours, les personnages au centre de Haut et fort sont fictifs. Il note : "La particularité c’est que j’ai toujours refusé de leur donner un scénario, de leur dire où je voulais aller avec eux. On discutait beaucoup de leurs personnages, de comment ils ou elles le ressentaient, et toujours j’essayais de trouver la bonne distance dans la direction d’acteurs.
"Dans les longues scènes de classe, j’ai travaillé avec un système d’oreillettes. Je guidais Anas, le prof, vers des sujets, des phrases clef, puis je laissais les choses se faire, en recadrant parfois. Et via d’autres oreillettes, je guidais les cadreurs sur les placements et les personnages à filmer, même si Virginie et Amine ont naturellement une très belle intelligence de l’image."
Via ce centre assimilé à est un refuge, Nabil Ayouch montre également les diverses menaces qui pèsent sur la liberté d'expression au Maroc. Le réalisateur voulait montrer que cette jeunesse ne se laisse pas faire et essaye de reprendre le pouvoir dans la rue (notamment les jeunes filles). Il confie :
"J’ai toujours été impliqué dans les combats féministes de ce pays. Je les trouve extraordinaires, ces jeunes filles qui font du rap, qui parlent de leur corps, du regard des hommes sur elles, du poids des grands frères qui veulent les asservir. Leurs problématiques sont très fortes et j’ai envie qu’on les entende. On a parfois une image un peu datée de la jeunesse du Maghreb. Avec ce film, je montre qu’au contraire, elle est tout aussi engagée, tout aussi moderne et politique."
Si Haut et fort n'est pas un documentaire, Nabil Ayouch voulait que la frontière avec la fiction y soit floue. "Ça a toujours été important dans mon cinéma qu’on ne puisse pas savoir ce qui est joué, ce qui est vrai. Je veux que la puissance de la fiction se mêle à la puissance des vies que je filme. Ces jeunes m’ont ouvert une partie de leur intimité, j’ai rencontré leurs parents, j’ai vu où ils vivaient. Pour moi, ça aurait été impensable de venir avec une caméra filmer tout ça tel quel. Je me suis donc inspiré de ces rencontres, j’ai mélangé le vrai et le faux pour être au plus près de la réalité de cette banlieue de Sidi Moumen", raconte-t-il.
Nabil Ayouch a pensé Haut et fort comme une comédie musicale où la musique permet d’avoir accès à l’intimité des personnages. Le cinéaste a ainsi opté pour une mise en scène plus naturaliste qui donne l’illusion du documentaire en ce qui concerne le récit principal (le quotidien de cette classe, le travail, leurs discussions) : "Là, on se confronte au réel, on regarde les visages, on écoute les mots, on est dans le dur. Et puis soudain, par la musique, par la danse, on s’échappe."
"Là, j’ai travaillé de manière beaucoup plus cadrée en essayant de proposer à chaque personnage, à chaque numéro quelque chose de différent. Je voulais que ça leur ressemble. On a beaucoup répété ces moments dansés avec le chorégraphe Khalid Benghrib et mes directeurs de la photo Virginie Surdej et Amine Messadi, alors que toutes les scènes dans le centre, c’était bien plus un travail sur la profondeur, le sens et la spontanéité. Toute la difficulté a été de lier les deux."