Charlie Kaufmann a toujours eu ma tendresse et mon admiration. Il est sensible, intelligent et son univers me plaît. Je garde de très bons souvenirs de films comme Dans la peau de John Makovitch ou Adaptation. J'aime moins Eternel Sunshine of a spotless mind à l'esthétique trop toc, tape-à-l'oeil et publicitaire... Michel Gondry est toujours plus inspiré quand il compose avec trois bouts de ficelle. je pense à Soyez sympa rembobinez !
Curieusement, la première sensation en découvrant Je veux juste en finir c'est que Kaufmann réalisateur réussit enfin à faire son Eternel Sunshine of a Spotless Mind mais sans la contrainte de la grosse production, du film mainstream, du blockbuster avec des acteurs bankables. C'est plus intimiste, ça semble beaucoup plus personnel avec de longs tunnels assumés : la voiture, la maison, la voiture, la cafeteria, l'établissement scolaire... Cette poésie douce, cette liberté dans le ton, le rythme et la structure sont à saluer : une vraie bouffée d'oxygène. Il assume cette forme sous anxiolytique, presque littéraire.
Il est d'ailleurs important de souligner que l'acteur principal me rappelle beaucoup Philip Seymour Hoffman qu'on avait déjà vu chez Kaufmann réalisateur Ce qui m'a rendu émouvante la séance. Je me suis demandé si c'était conscient ou pas... Un hommage subliminal ? En tout cas, le film dans l'ensemble est plutôt touchant, il parle à notre intelligence, à nos émotions, il essaye de naviguer dans ce qu'on aurait pu faire de nos vies, dans ce qu'on a hélas échoué à en extraire de meilleur... L'éternelle ritournelle Kaufmannienne fait mouche. Avec en plus ce je ne sais quoi d'inquiétant ou d'horrifique (les parents pas nets comme dans The Visit, la cave qui semble dissimuler quelque chose de pas rassurant...), tout ce qui maintient l'attention du spectateur désireux de comprendre...
Et c'est là qu'est le hic. Car de tous ces mystères, il ne ressort rien de follement innovant ou radical. On devine assez vite de quoi il retourne... L'univers du film n'est rationnel qu'en apparence. Il devient facile à décrypter, celui des derniers instants d'un homme se repassant le film de sa propre histoire en la revisitant au gré des rendez-vous manqués, des espoirs déçus... Dès les interludes dans l'établissement scolaire, on comprend que le vieil homme de ménage n'est autre que le héros qui a vieilli. Une fois dans la maison, les décalages d'abord légers puis carrément délirants mettent un peu mal à l'aise devant l'incapacité de la jeune femme à s'inquiéter de toutes ses apparentes hallucinations devant des parents qui changent d'âge, d'époque, de visage, de chambre... Alors qu'elle panique brutalement quand son futur ex compagnon l'emmène pour un détour enneigé vers le lycée de sa jeunesse... Pas très cohérent. La scène finale au pupitre, c'est évidemment tout ce que cet homme aurait pu devenir s'il avait été soutenu par une femme aimante et croyant très fort en son talent...
Le point d'orgue avec ce final de comédie musicale (Oklahoma ?) peut néanmoins constituer un indice sur un meurtre commis (la jeune femme et son fiancé ?) dans le passé que sera resté impunis... Avec ce quelqu'un qui observe en coin les deux tourtereaux. Les restes donnés aux cochons ou enterrés à la cave... Difficile à dire mais on peut l'envisager... Avec la complicité des parents ? Tout ceci remonterait à la surface à l'approche du jour dernier. Culpabilité sourde et écrasante. Plutôt que de simples regrets / remords. Mais trop peu d'éléments nous permettent d'étayer cette thèse.
La matière rappelle finalement assez furieusement celle d'un The Father sorti récemment (sur la thématique d'Alzheimer). Ces personnages aux identités flottantes. Je me suis d'ailleurs dit que Je veux juste en finir se prêterait divinement à une adaptation pour le théâtre (dont est par exemple adapté The Father).
Et reste au final une impression mitigée malgré ce très beau numéro de comédie musicale sur les derniers instants. Impression mitigée parce que film longuet, dépressif et surtout prévisible... On attend on attend on espère et l'on se dit à la fin des fins : "bah oui quoi d'autre ?".
Je reste persuadé sur ce thème universel, existentiel, qu'il est difficile de surpasser dans le drame fantastique ce que fut La vie est belle de Capra ou dans la comédie romantique un film comme Un jour sans fin beaucoup plus profond qu'il n'y paraît. Ce dernier ne raconte pas autre chose que ce film de façon plus légère, enlevée... Toute ma vie dépend de ce qu'il adviendra de notre relation ce jour précis, ce matin-là... Alors autant le vivre et le revivre sans fin pour accomplir ma destinée. Notre destinée.