Scénariste de « Confessions d'un homme dangereux » et de « Eternal Sunshine of the Spotless Mind », Charlie Kaufman revient pour un troisième long-métrage sensiblement psychologique et horrifique. Connu pour sa narration chaotique, dans le bon sens du terme, il parvient à insuffler une certaine splendeur dans ce qu’il décrit, ce qu’il regarde et ce qu’il redoute. A travers des personnages qui ne peuvent mimer par eux-mêmes leur personnalité ou leur identité, l’œuvre questionne en tout temps et fait évoluer ses enjeux, au même rythme qu’il remodélise toute la psyché d’une protagoniste torturée. Le délire mental est une source de drame qui s’agrémente ainsi de son environnement, glacial et enneigé. Ce qui nous limite évidemment aux idées les plus sombres et aux mouvements les plus brusques.
C’est l’histoire d’une traversée, d’une rencontre et d’une séparation. Ces trois phases sont ainsi connectées à cette même problématique, qui hante une héroïne (Jessie Buckley) qu’on ne parvient ni à nommer, ni à définir dans ce monde. Pourtant, on s’y intéresse, avec patience et une atmosphère de l’étrange dont Kaufman a le secret. Il suffit de penser à son « Anomalis », cinq ans plus tôt, pour témoigner de son aisance. Ainsi, les ingrédients du malaise s’empilent, au détour d’un voyage conjugal étonnant. Le changement de ton répond à un changement de scène, voire simplement à un changement de pièce. Le foyer des beaux-parents devient un sanctuaire à remord et qui n’a pas de frontière. Tout le monde cherche ainsi le confort qui lui est propre, ce qui est parfois incompatible avec autrui, soi-même ou une autre époque. Et c’est ce qui nous rapproche un peu plus de cette impression, qui frôle nos rétines dès les premiers instants et les premiers mots prononcés. Le couple est destiné à se perdre.
Jake (Jesse Plemons) n’est pourtant pas le petit ami idéal, mais ses efforts semblent pouvoir se briser aussi facilement que sa relation. L’intérêt qu’on lui porte n’est pas si secondaire ou abstrait, car il faudra interpréter chacun de ses mots, qui le ramène inévitablement là où il devrait être. Mais comme le mouvement est source de confusion, dans ce récit qui ne repose pas sur des lois conventionnelles. La gravité ou la simple valeur d’un plan ne sont que des restrictions bien trop linéaires dans un langage visuel. L’intrigue étire pourtant son attraction hors de l’écran, comme s’il fallait y comprendre une scission entre l’âme et le corps. Et ce sens, l’existence même nous ramène à la dépression que l’on dépeint avec l’angoisse appropriée et sophistiquée. Toni Collette et David Thewlis sont les ambassadeurs de ce constat et promettent le portrait, à terme, d’un mariage et du vieillissement. Les deux sont étroitement liés, mais chacun de son côté finit par répondre du passé, si celui-ci s’avère véridique.
« Je veux juste en finir » (I'm Thinking of Ending Things) n’est donc pas un hurlement, propre aux spectateurs qui ne parviendrait pas à survivre au trajet sous le blizzard. Il s’agit d’une lettre ou encore d’un testament en hommage aux rendez-vous manqués et au bonheur que l’on a amputés. Ce sont bien des hurlements de douleur, mais qui jamais ne nous presseront vers sa destination finale. Le détour fait partie du voyage et cela se sent dans la narration et ces échanges, tantôt poétiques, tantôt crispants. C’est un véritable déluge fantomatique qui interpelle de manière à laisser le montage influencer ce qui a été piégé dans le cadre. Peut-être qu’à l’image de ses personnages, perdus dans un labyrinthe mental et obsessionnel, le réalisateur exprime la détresse du roman de Iain Reid par le biais d’une mise en scène poussée à son paroxysme, d’où la conclusion qui maintient l’étrangeté et qui célèbre pourtant une délivrance. Cela jure maladroitement avec ce qui le précède, mais tout a été dit et redis. Le temps restant servira d’extra pour une méditation qui nous rapproche de nos sentiments, sans que l’on puisse les éviter ou les isoler encore un peu plus loin dans la brume.