C’est réellement à un voyage en terre inconnue auquel nous convie le réalisateur bulgare Milko Lazarov… C’est le premier film étranger tourné en Iakoutie, une immense région du nord-est de la Sibérie, à peu prés l’équivalent de la surface de l’Inde…Situé en zones arctique et subarctique c’est une région aux températures extrêmes, le permafrost occupe 95% du territoire…Le sous-sol est richissime en ressources minières précieuses et semi-précieuses notamment en diamants...
Le film s’ouvre avec une femme en costume traditionnel, bagues en argent sur les doigts, clignotant des yeux avant d’entonner une chanson endiablée avec sa guimbarde, comme venue de nulle part , un instrument qui nous rappelle la musique des Chevaux de Feu de Sergei Paradjanov…une sorte d’introduction à la poésie et la beauté du Grand Nord . Nanouk (le choix du prénom peut être vu comme un hommage à « Nanouk l’esquimau » tourné par Robert Flaherty en 1922) et Sedna forment un couple d’une soixantaine d’années. . Les enfants sont partis. . Avec son chien de traîneau, Nanouk traverse la banquise, fait de la pêche blanche, pose des pièges, scrute l’horizon, rapporte des morceaux de glace qui permettront de lester la yourte quand viendra la tempête. Sedna l’aide ou chante. Elle fabrique des gants, dépèce une bête, prépare des onguents. On ne sait pas grand-chose de leur passé, Nanouk a été éleveur de rennes mais n’a plus de troupeau, autour de la yourte stationnent plusieurs traîneaux, mais Nanouk n’a qu’un seul chien…Les enfants sont partis, mais le départ de la fille Aga semble avoir laissé une plaie non cicatrisée et on ne saura jamais pourquoi le père n’arrive pas à pardonner à sa fille…
Imperceptiblement, un monde nouveau les cerne. Il suffit de voir, dans le ciel dont l’immensité se confond avec celle de la glace, le sillage des avions qui passent au-dessus de leurs têtes.
C’est avant tout un film contemplatif que nous propose Milko Lazarov… Il peint avec sa caméra des paysages grandioses dotés d’une lumière assortie d’une gamme de blancs et d’une douceur inouïe, par contraste les scènes à l’intérieur de la yourte font l’objet d’un travail sur la lumière extrêmement travaillé…Lazarov a montré à son chef opérateur Kaloyan Bozhilov, des tableaux de Vermeer pour s’en inspirer…et le résultat est de toute beauté…Chaque plan rend compte de ce monde extraordinaire où chaque geste compte….la poésie des gestes s’oppose à la rudesse de leur existence…. Le rythme est lent, entre tranquillité et contemplation, symbiose entre l’homme et la nature, entre les visages et les paysages...
Tout réside dans le non-dit, aussi indicible que la frontière entre ce ciel et cette terre entremêlés dans la lumière. Ici, tout s’explique par des absences et des signes comme une tache noire sur la peau ou une tache rouge au sol. Dans les rares moments où le père ou la mère s’expriment par la parole, ils essaient de décrypter leur destin à travers de contes ancestraux de rennes et d’ours polaires.
En dehors de la cinquième symphonie de Mahler, une musique intimement mélancolique, créée par la compositrice bulgare Penka Kouneva, accompagne les derniers moments de cet ancien monde avant la déliquescence ultime qui paraît inévitable…et est suggérée dans cette vue aérienne saisissante de cette gigantesque mine de diamants à ciel ouvert, comme un cancer à la surface de la terre…C’est beau…mais exigeant pour le spectateur ( ils étaient d'ailleurs peu nombreux à ma séance) car il ne se passe pas grand-chose !!!