Pour Domingo, Fellipe Barbosa collabore à nouveau avec le scénariste Lucas Paraizo, qui est un de ses amis et qui lui a proposé ce scénario qui s’inspire de son enfance. Le metteur en scène explique : "Il a été énormément touché par La Ciénaga de Lucrecia Martel, auquel il se réfère parfois. Alors même si c’est une référence écrasante, il faut s’y confronter, d’autant que c’est un film qui a ouvert énormément de portes pour les cinéastes de notre génération. Lucrecia Martel a créé un nouveau langage cinématographique, très impressionniste et instinctif, sur le passage et le contrôle du temps. On a essayé de s’en éloigner par le choix d’un ton, d’une direction d’acteurs et d’un découpage très différents."
Domingo est le premier film que Fellipe Barbosa et Clara Linhart co-réalisent. La seconde indique : "Notre relation évolue. Sur Casa Grande , que Fellipe a réalisé seul, j’étais assistante réalisation, puis productrice sur Gabriel et la montagne. Là, nous sommes tous les deux producteurs et réalisateurs et dans le prochain, ce sera moi la star (rires)."
Fellipe Barbosa et Clara Linhart ont tourné Domingo dans une maison où Lucas Paraizo a passé son enfance et où beaucoup des intrigues du scénario s’y sont déroulées d’une façon plus ou moins similaire. La demeure se situe dans une petite ville de l’état du Rio Grande do Sul, la dernière avant la frontière uruguayenne.
Ítala Nandi, l’actrice qui joue Laura la matriarche, et qui fut une diva du cinéma novo brésilien, vient du sud et a conservé l’accent local, très différent de celui de Rio. Tous les enfants du film sont aussi de la région. Clara Linhart raconte : "Le sud du Brésil, c’est l’élevage et l’abattage bovin, la tradition de la viande séchée. Les conditions de travail, mais aussi l’esclavage, y furent pires qu’ailleurs, ce qui n’est pas peu dire concernant le Brésil. Dans ce type de domaine résidaient maîtres et esclaves. L’actrice qui joue Valentina est née dans cette ville et elle nous a dit combien ça la choque que l’on continue de louer ces maisons pour organiser des fêtes et des mariages, comme dans le film, sur ces terres imprégnées de souffrance et de la mémoire de l’esclavage."
Aux yeux de Fellipe Barbosa et Clara Linhart, l’endroit où se déroule l'intrigue était fondamental pour évoquer l’hypocrisie de cette bourgeoisie qui n’a pas envie de prendre acte du changement social et qui "préfère littéralement danser sur les cadavres de tous ceux qui se sont usés au travail sur cette terre, qui sont morts et oubliés là-bas". Linhart poursuit : "Le paysage de la région est très spécifique, propre à son histoire et ses traditions, cela n’a rien à voir avec Rio. Enfin, ce qui nous intéressait est le déplacement des personnages dans ce domaine, et comment la mise en scène aide à définir les relations de pouvoir entre eux, à travers des portes qui s’ouvrent pour les uns et se ferment pour les autres."
Domingo dresse un portrait des peurs, des incertitudes et des préjugés de l’aristocratie brésilienne. Ses membres semblent être prisonniers du temps. À ce titre, le film dialogue beaucoup avec le théâtre de Tchekhov, à travers les points de vue des représentants d’une même famille. "La trame du film se déroule sur une journée, au cours de laquelle les actions de chaque personnage deviennent les pièces d’un grand puzzle", confie Clara Linhart.
Fellipe Barbosa ajoute : "Il y a un lien très fort entre Tchekhov, qui m’a beaucoup touché dans ma jeunesse, et Luis Buñuel qui est devenu la référence principale du projet. Sur le plateau, on parlait davantage de son cinéma avec la chef opératrice Louise Botkay, et en particulier de L’Ange exterminateur , qui commence là où se conclut Domingo. Néanmoins, le film n’est pas surréaliste, sans pour autant se vouloir naturaliste."
Malgré sa virulence, Domingo témoigne d’une attention pour chacun des personnages, permettant de comprendre leurs agissements. Fellipe Barbosa et Clara Linhart détestent en effet les films qui n’ont aucun amour pour leurs personnages. Ils confient : "On nous disait : « Mais comment peux-tu aimer ce type !? » Ici aussi Eduardo, le père homophobe qui est le personnage le plus problématique, on l’aime quand même, on le défend parfois. On a choisi un copain à nous pour l’interpréter, qu’on trouve charmant. Lors des essais, il s’est révélé capable de susciter l’empathie, bien que son personnage soit odieux. Le Brésil est un pays de machos, les chiffres de féminicides y sont terrifiants. Dans le film en revanche, les hommes sont aussi violents qu’impuissants. Ce qui demeure, c’est plutôt la force des femmes."