Le film de Quentin Dupieux ne dure que 1h17, ce qui est presque un record de brièveté. Cela dit, il n’a nul besoin de durer plus longtemps car, même en y mettant la meilleure volonté du monde, ce film absurde met quand même assez mal à l’aise très vite. L’absurde, le non-sens, moi je n’ai rien contre, au contraire. Ici, c’est un absurde noir, presque psychiatrique, et il faut faire un vrai effort pour accepter ce postulat pendant toute la durée du film, du coup, 1h20 c’est largement suffisant. Au-delà, pour moi, ça aurait été épuisant. Comme dans « Au Poste ! », ici, tout est hors d’âge : les décors sont hors d’âge, les costumes aussi (sans parler ce blouson, inclassable), les véhicules, les accessoires sont surannés. Si le personnage de Georges n’utilisait pas très brièvement un téléphone portable, on aurait bien du mal à situer ce film dans l’espace et dans le temps. C’est voulu, bien-sur, c’est pour donner l’écrin qu’il faut à la folie de Georges. Je dois avouer que visuellement c’est très réussi, la patte Dupieux dans ce domaine faite mouche une nouvelle fois. Dupieux filme de façon aussi décalée que son propos, il utilise le flou de façon étrange, cadre parfois bien bizarrement ses paysages et ses personnages, et ponctue son film d’une musique là encore hors d’âge. On dirait une musique (parfois à la limite du bruitage) d’un vieux polar des années 70, c’est difficile à qualifier autrement. Il utilise la musique comme une ponctuation plus que comme une illustration, moi j’aime bien ce postulat original. En bref, le style Dupieux, c’est une patte très particulière, assez inclassable, faite de vintage à tous les étages et de faux amateurisme, et dans ce genre bizarre le film a de la personnalité et du cachet. Jean Dujardin, qui est de toutes les scènes, incarne un homme en rupture de tout, à la dérive dans tous les domaines. On ne saura rien de plus sauf qu’il a été quitté par son épouse et qu’il est financièrement exsangue. Dujardin est capable de tout jouer, je l’ai dit depuis longtemps, et ici, il joue le « mystère », allié de circonstance à la « folie ». Il met très vite mal à l’aise, par ses silences inquiétants, des mini coups de colères soudains, sa violence qui affleure par moment, et surtout par le délire schizophrénique qui se saisi de lui lorsqu’il devient propriétaire du blouson. On peut essayer de le psychanalyser, envisager la possession, la maladie mentale qui survient à l’aube de la cinquantaine, révélée brutalement par une rupture affective.
Mais je crois plus en la métaphore, cet homme cherche à devenir un daim : d’abord le blouson puis les autres éléments du costume, pour finir 100% daim, se muer en cet animal insalissable et craintif, adorable et sauvage.
A ses côtés un autre personnage incarné par Adèle Haenel, monteuse amateur, qui accompagne Georges dans son délire sans qu’on comprenne jamais si elle se laisse abuser ou si au contraire elle se joue de lui. Tous les deux sont très bien, dans un registre evidemment difficile. Mais Dujardin offre ici une nouvelle facette de son talent, et on sent qu’il s’est amusé à incarner cet homme qui passe de fou inoffensif à fou dangereux. Le scénario, évidemment, est difficilement analysable, puisque rien ici n’est crédible, logique, et que l’histoire racontée n’a aucun sens. C’est sur que « le Daim » est un film pour amateur d’absurde, qui n’ont pas peur de se retrouver devant un long métrage qui raconte l’irracontable, l’improbable, le n’importe quoi ! Le blouson en daim qui révèle la folie de Georges est plus une métaphore de sa nouvelle peau qu’une pièce de vêtement. C’est l’histoire d’un type qui plaque tout pour devenir un homme sans filtre, désinhibé de toute logique, de toute morale, qui ne vit que pour assouvir ses désirs emprunts de narcissisme. Il n’était rien, un homme banal dans une vie banale. Ce blouson « au style de malade », sorti d’une époque où le bon gout était aux abonnés absents (franchement, il est hideux !), c’est le symbole d’une autre vie, celle qui s’affranchit de tout pour vivre selon ses désirs immédiats, au jour le jour. Le personnage de Georges, dans son délire, peut-être nous l’avons tous au fond de nous, sauf qu’on ne laisse jamais s’exprimer. C’est peut-être ça le message du « Daim », s’il y en a un. La fin est brutale et inattendue, mais quand même super cohérente quand on y pense. Elle est empreinte d’une ironie très cruelle,
et la toute dernière scène laisse planer le doute sur le personnage de Denise (Adèle Haenel) et sur ce qu’il adviendra d’elle.
J’aime bien cette fin, elle est à l’avenant de tout le film. Faut-il conseiller « Le Daim » ? Je ne sais pas en fait. Il est tellement décalé qu’il peut enthousiasmer et navrer à la fois. Mon sentiment personnel est assez ambivalent : c’est un film qui a une très forte personnalité, qui peut paraitre pertinent par certains aspects mais qui met quand même très mal à l’aise aussi. Je ne peux pas dire que je l’ai aimé ou pas, c’est plus compliqué que cela… On peut l’aimer et le détester à la fois mais ça m’étonnerait qu’il provoque une quelconque indifférence !