Marriage Story raconte l’histoire d’un couple dont chacun des membres se sent progressivement spolié de son histoire ; ce faisant, le film interroge la notion de sacrifice qui prévaut dans toute union, dans la mesure où les deux partis doivent apprendre à mettre de côté leur égoïsme respectif pour espérer construire un vivre-ensemble. Et derrière la destruction de l’édifice marital, Noah Baumbach se plaît à déconstruire les structures qui se repaissent du malheur ambiant, à commencer par les avocats aux cinq-cents dollars de l’heure dont l’unique dessein consiste à tirer du divorce le plus d’argent possible. C’est aussi les inspections civiques relatives aux droits de l’enfant : voir à ce titre la séquence savoureuse où une employée dépourvue de vie sentimentale vient partager le quotidien de Charlie et de son fils. Espionnée, violée dans son intimité, la famille perd sa vie privée pour devenir l’objet de curiosité d’une série d’hommes et de femmes d’affaires tous plus intraitables les uns que les autres. Dès lors, au tribunal ne siègent plus tant des individualités que des morceaux sensibles à investir et dévorer en fonction de la demande : l’histoire des Barber est picorée, grossie jusqu’à la caricature afin d’en extraire les effets espérés. Le souvenir d’une existence menée en commun se mue en bombe à retardement, prête à exploser au visage de quiconque ne s’en méfierait pas assez. Marriage Story impose d’emblée par son titre – périphrase ironique – un cynisme qui va de pair avec un sens aigu du comique, involontaire ou non, si bien que le spectateur a l’impression de partager joie et agonie d’une famille qui pourrait être la sienne. On passe des rires aux larmes, à l’instar des protagonistes eux-mêmes, on se réjouit de retrouver Scarlett Johansson et Adam Driver dans des rôles enfin adaptés à leur imposante carrure d’acteurs, couple plus vrai que nature dont le délitement bouleverse profondément. En dépit de quelques longueurs qui, si elles appuient davantage encore le piétinement des procédures et le balbutiement de cœurs qui aiment et détestent à la fois, suscitent parfois un sentiment de lassitude, le long-métrage de Baumbach est un coup de poing artistique et dramatique balancé à la figure du puritanisme américain, pour qui le divorce reste une notion problématique. Sa mise en scène pense l’affrontement comme un jeu de solitudes en miroir l’une de l’autre : ainsi la consultation de l’avocate par Nicole résonne-t-elle avec celle de l’avocat par Charlie, etc. Les scènes se répondent, mais à distance, séparées par de longues dizaines de minutes. Traduction cinématographique de la distance irrémédiable, et qu’un lacet refait ne fera pas cesser. Malgré leur volonté de se distinguer, les époux reproduisent des gestes similaires, partagent les mêmes angoisses. En résulte une œuvre cathartique, aussi brutale que comique, qui dépouille le mariage de toute sa poussière de fée pour n’en présenter que le caractère grotesque, dont on ressort heurté comme après une longue querelle conjugale.