Affublé d’un titre français une nouvelle fois choisi en dépit du bon sens, « Lettre à Franco » est un film qui a plein de qualités mais aussi quelques défauts. Son réalisateur, Alejandro Amenàbar, n’est pas un réalisateur très prolixe depuis son immense succès mérité avec « Les Autres ». C’est sa première incursion, sauf erreur, du côté de la Politique et de l’Histoire. Mais Amenàbar est espagnol, et comme tous les espagnols (et exilés espagnols), il a dans sa chair la cicatrice de la Guerre Civile. C’est ce sujet, ô combien douloureux, qu’il a choisi et c’est peut dire que, sur le papier, c’est une entreprise risquée. Combien de films espagnols montrent par le menu la Guerre Civile et le Franquisme ? Dans un pays qui n’a jamais fait l’examen de conscience de son Histoire récente, qui n’a jamais jugé ses criminels, qui n’ a jamais purgé sa société civile, ni sa police, ni son personnel politique, et je ne parle même pas de son clergé, le film d’Amenàbar à une immense qualité : il existe ! Tout ce qu’on pourra dire de ce film, de ses atouts et de ses défauts, rien ne pourra finalement faire le poids au regard de cette qualité là. Ce postulat étant posé, j’ai trouvé qu’Amenàbar avait bien soigné sa reconstitution, et avait choisit la voie de la sobriété. Pas de scènes grandiloquentes (à part la scène finale mais elle était indispensable), pas de musique tonitruante pas trop les longueurs ni de larmes, il n’a pas abusé des symboles, pas cédé à la facilité. Cette volonté de proposer un film didactique presque pédagogique, un film qui regarde froidement la victoire militaire et idéologique du Franquisme, on pourrait presque aller jusqu’à la lui reprocher. Montrer le franquisme, c’est aussi montrer la torture et les exécutions sommaires, et Amenàbar n’a pas osé, ou voulu, aller jusque là, se contentant de les suggérer par des détonations ou des périphrases. Il sépare son film en deux axes qui ne se croiseront finalement qu’une seule fois, au deux-tiers du long métrage. L’histoire de Miguel de Unamuno, celle d’un intellectuel piégé par l’idéologie, et qui sera trop longtemps aveugle et sourd au drame qui se noue pourtant sous ses fenêtres, qui croise celle du général Franco, poussé à devenir l’homme fort d’un régime qui se cherche et qui finira par porter son nom. C’est assez équilibré, même si en tant qu’historienne, j’ai été plus intéressée par la partie « Franco » que la partie « Unamuno ». Le film m’a paru malgré tout un peu long, probablement à cause d’un faux rythme qui s’installe assez vite. Le casting est tout à son affaire et Karra Elejalde, qui incarne le vieil écrivain, porte très bien le rôle de cet intellectuel exigeant, intelligent mais aveuglé. Son personnage est un symbole, sa santé décline au même rythme que la République Espagnole et la démocratie se meurent, et il disparaitra en même temps qu’elles. Santi Prego a la lourde charge de composer un Franco, pour tout avouer, assez déconcertant. Quand on connaît mal l’histoire du Caudillo on s’imagine un homme charismatique, habité, orateur, fonçant à 100 à l’heure vers son destin, tel un Mussolini ou un Hitler. Or le Franco de « Lettre à Franco » est tout l’inverse : fuyant, emprunté, hésitant, ne répondant jamais clairement à une question. C’est déroutant, mais mes sources me confirment que c’est un portrait très fidèle, et que c’est précisément cette attitude qui lui permettra d’installer une des plus longues dictatures du XXème siècle. Santi Prego, en plus de ressembler étrangement à son funeste modèle, compose un Franco qui surprendra plus d’un spectateur. Il y a beaucoup de seconds rôles, et je ne trouve rien à redire aux performances d’un Eduard Fernandez (carrément flippant) ou d’un Carlos Serrano-Clarck. Quant au scénario, je lui décerne d’emblée un mauvais point : si on est peu instruit de l’histoire de la Guerre Civile (et Dieu sait qu’elle peu enseignée en France), le film est difficile à appréhender pleinement. Le scénario ne prend pas la peine d’expliquer précisément qui est qui, qui a fait quoi, or l’Histoire de la Guerre Civile est horriblement complexe pour un néophyte français. Il faut s’accrocher un peu pour bien assimiler tout ce qui est montré à l’écran, notamment dans la partie « Franco ». Mais si on fait cet effort, on est récompensé par une leçon d’Histoire édifiante, celle d’un Général amoureux de l’Ordre, qui a fomenté une rébellion pour « sauver la République » avant de comprendre qu’en s’alliant à la Monarchie et à l’Eglise Catholique, il allait la terrasser et devenir le leader suprême d’une Espagne à genoux : à genoux devant l’Eglise, donc à genoux devant lui. Arrestation des Communistes et des syndicalistes, puis des socialistes, puis des Protestants, puis des Francs-Maçons, et puis des basques, des catalans, exécutions sans jugements, tortures, fosses communes, rien n’arrêtera le rouleur compresseur dans une Europe qui, en 1936, regarde ailleurs. En choisissant Miguel de Unamuno, Amenàbar choisi un angle qui en vaut bien un autre : celui de l’intellectuel face à la dictature, celui du verbe et du savoir face à l’ignorance et la brutalité. Contrairement à Garcia Lorca, De Unamuno aura fait le mauvais choix d’emblée et son réveil tardif n’en sera que plus cruel. Comment cet homme lettré, fin, érudit à pu croire une seule seconde en un mouvement qui proclamait « Viva la Muerte ! » comme slogan ? C’est un peu mystérieux quand même, ce manque de discernement ! Le personnage de Unamuno, c’est celui des illusions perdues, qui va entrer en 1936 dans une ère obscure pour des décennies et avec laquelle l ’Espagne de 2020 est loin d’en avoir terminé (voir l’actualité récente sur le mausolée de Franco). Difficile à appréhender, « Lettre à Franco » n’en demeure pas moins indispensable. Ce n’est pas le grand film tant attendu sur le Franquisme et la Guerre Civile, mais c’est néanmoins un vrai pas en avant pour le cinéma espagnol. C'est aussi, dans sa dernière scène, une leçon politique qui demeure très moderne, très actuelle et qu’on aurait bien tort d’ignorer. C’est un film qui n’est pas un chef d’œuvre mais qui est hautement recommandable : lui donner sa chance c’est peut-être aussi encourager le cinéma espagnol à continuer à oser, oser traiter la Guerre Civile, oser traiter la Franquisme, oser enfin…