On met un peu de temps à s’en rendre compte, puis on se souvient peu à peu, car les films de Fabrice du Welz, qu’on les apprécie ou pas, font partie de ceux qui laissent des traces mémorielles indélébiles : c’est encore une fois la figure tutélaire et insaisissable de “Gloria’, déjà présente dans ‘Calvaire’ et ‘Alleluïa’, qui donne le ton à ‘Adoration’. Que cette répétition soit un tic d’auteur sans conséquence ou qu’elle recèle une signification plus profonde, elle prend ici les traits d’une jeune fille instable qui s’échappe de l’institution où elle a été placée avec l’aide de Paul, le fils d’une employée, gamin solitaire et lunaire, qui tombe peu à peu sous le charme - et la coupe - de la fugitive. Du Welz filme une romance à hauteur d’ado, totale, absolue, vénéneuse et asymétrique entre deux personnalités que tout oppose, l’un ayant besoin de construire quelque chose pour combler ce qui lui manque (belle rencontre avec un Benoît Poelvoorde très sobre, malheureusement peu exploitée) alors que l’autre est agitée par un mauvais génie (auto)destructeur. Les lieux communs “poétiques” sont loin d’être absents du projet mais Du Welz parvient à brasser des genres suffisamment différents (Le Film Noir à-presque-femme fatale, le road-movie initiatique sur chemins forestiers, le conte de fées surnaturel-free,...) pour se tenir à distance raisonnable des pires poncifs de chacun d’entre eux et offrir en fin de compte un résultat qui n’appartient qu’à lui. La séduction opère, quand bien même la trame se désintègre peu à peu et laisse soupçonner que le réalisateur ne sait plus vraiment où il va ni comment conclure, et se contente d’entretenir la machinerie. Il est vrai que les choix visuels et le sens esthétique de Du Welz restent quasi uniques dans le cinéma francophone et constituent une raison en soi de poursuivre la séance même au moment où ‘Adoration’ semble ne plus rien avoir à raconter.. A aucun moment les forêts d’Ardenne, les tunnels ferroviaires et les étangs marécageux ne perdent leur dimension fantasmagorique, qui rappelle, en plus travaillé, ‘Les géants’ de Bouli Lanners ou, si on remonte plus loin, l’inoubliable échappée fluviale des enfants dans ‘La nuit du chasseur”, dont il constitue à coup sûr une lointaine variation.