Le cinéma australien est hanté par son Histoire et par les difficultés avec lesquelles l’exhumer pour mieux la transmettre. Le récent Furiosa (George Miller, 2024) figure avec génie un « History Man » sur la peau duquel sont tatoués les récits légendaires transformant la violence en valeur, la brute en héros, leur conglomérat en peuple puis en civilisation ; Australia (Baz Luhrmann, 2008) se donne quant à lui le pari fou de retracer, en presque trois heures, tout un pan de l’Histoire australienne du premier XXe siècle alors engagé dans les guerres mondiales. True History of the Kelly Gang s’inscrit dans cette veine réflexive, mobilise le western comme genre américain que le cinéaste Justin Kurzel détourne non sans malice – voir à ce titre la séquence dans les bois où l’un des frères, vêtu d’une veste « Western » disposant de motifs indiens naïfs – vante les mérites des « donuts » à la texture si légère qu’on croirait mordre dans un nuage, éloge ironique qui charge le rêve américain – pour mieux présenter l’Australie comme
une mère meurtrie par la colonisation, contrainte à la prostitution dans l’espoir d’offrir à elle et à ses enfants des chances de survie
. Ellen Kelley apparaît bien telle une allégorie de la terre australienne,
supportant les affronts, les crachats, le ravissement de ses fils sans broncher ni fléchir
; elle vient s’ajouter aux figures légendaires que chantaient autrefois Tite-Live, Agrippa d’Aubigné ou encore Victor Hugo.
Second point commun entre les trois cinéastes ici rapprochés : la foi placée dans la fiction à même de raconter le réel, le goût pour le romanesque à des fins humanistes, c’est-à-dire la recherche démesurée d’artifices pour accéder au plus profond du cœur humain. L’obsession de Kurzel réitérée film après film est la folie de l’individu comme révolte contre un destin néfaste qui, depuis l’enfance, l’ancre dans la marginalité : qu’il s’agisse de Nitram ou de John Bunting, tous les protagonistes principaux de son cinéma sont des Macbeth en puissance, des antihéros dont l’âme a été corrompue par des forces extérieures et qui accomplissent leur grandeur en faisant le mal. Nul hasard s’il a réalisé l’adaptation du jeu vidéo Assassin’s Creed (2016), où le joueur obéit à des missions et applique une vengeance d’ordre supérieur.
True History of the Kelly Gang joue avec la réalité dès son ouverture, affirmant haut et fort que tout ce que le spectateur verra sera faux mais, pourtant, qu’il s’agira bien de la « vraie » histoire du gang… Contradiction volontaire qui résume l’ambition du cinéaste, incarnée à l’écran par une alternance de corps masculins tantôt nus tantôt travestis, opposant ainsi l’état de nature, animal – les membres du gang hurlent à la manière des loups – à l’état de culture, hypocrite, marque cette fois des Anglais et des Américains. Interprété à la perfection, porté par une mise en scène remarquablement ample, à l’esthétique mouvante capable de scènes néoréalistes comme aux partis pris graphiques très prononcés, le long métrage constitue une réussite flamboyante qui confirme le talent de Justin Kurzel et de son équipe technique et artistique.