Malgré les apparences, L’Insoumis n’est pas un film militant. S’il est un film politique, comme l’est toute œuvre d’art qu’on se le dise ou non, il n’en est pas pour autant un film de propagande pour Jean-Luc Mélenchon et la France Insoumise. Gilles Perret, son réalisateur, le dit lui-même : ce n’est pas l’aspect politique et militant qui l’intéressait, mais bien le « personnage » de Jean-Luc Mélenchon. D’ailleurs, les réactions des spectateurs parlent d’elles-mêmes : quand certains voient en lui un homme humain, attachant, avec ses faiblesses et ses défauts, d’autres trouvent son comportement à l’écran insupportable, le qualifient de hautain et de colérique. Cette disparité dans la réception montre bien que c’est le sujet choisi qui divise, et non pas le traitement que Gilles Perret en a fait.
Car, bien plus qu’un film politique, L’Insoumis est un portrait ; le portrait d’un homme ambitieux, avec un objectif bien précis et une vision de la politique, et de la vie en générale, bien ancrée. C’est le portrait d’un homme entier, qui ne transige pas. Qu’on l’apprécie ou non, que l’on partage ses opinions politiques ou pas, Jean-Luc Mélenchon apparaît comme un personnage, au sens fictionnel du terme, qui ne laisse personne indifférent. Aucune surprise alors, à ce que Gilles Perret ait eu la curiosité de le filmer au plus près, dans l’intimité de ses convictions, car ce sont bien ses convictions qui font de lui cet individu emporté, passionné. Le film montre également l’univers de cet homme, tout entier consacré à la politique, et qui se considère comme un « intellectuel militant ». Ses grandes envolées lyriques, fréquentes, laissent poindre une culture intarissable. L’histoire, la littérature, la poésie, nourrissent son quotidien. Et l’on devine, à la passion qui l’anime, que ses mouvements intérieurs ne meurent jamais. Sans cesse en réflexion, en nerfs, en humeurs, qu’il a parfois très joyeuses, il apparaît au plan suivant simple, presque enfantin, touché par le cadeau que lui fait un docker du Havre. Tout documentaire qu’il est, le film se vit comme un périple aux péripéties nombreuses et l’on se trouve, comme son personnage, mené de désillusions en petites victoires, porté par l’engouement phénoménal qui s’empare de lui, au point d’être convaincu de réussir, jusqu’à la chute. Et, malgré l’issue, vécue de façon tragique par les militants, le film se clôt sur un espoir immense.
Pas nécessairement l’espoir de la France Insoumise et de ses adeptes, mais l’espoir d’un renouveau, amorcé par un groupe de personnes issues de milieux différents, embarquées par une jeunesse volontaire et si bien représentée dans ce film. Elle est dans les nombreux meetings, bains de foule impressionnants, desquels résonne une ferveur formidable. Elle est au sein même de l’équipe de Mélenchon, en alerte, réfléchie, active. Cette masse sans nom, sans identité définie, armée de banderoles, de sourires et de slogans chantés est-elle cette bande d’hurluberlus excités présentée dans les médias ? Rien n’est moins sûr. Plus certainement, en s’intéressant à ce personnage politique, Gilles Perret s’intéresse aussi à ceux pour qui son personnage œuvre et se bat. L’Insoumis est donc également un film sur le don et le recevoir. Car si Jean-Luc Mélenchon « use sa vie » pour les plus démunis, ce sont ces mêmes démunis insoumis qui lui redonnent la foi lorsque plus rien ne va. Gilles Perret nous livre donc un beau film, bigarré, au gré des mouvements d’un homme complexe et imparfait, sans jamais verser dans le pathétique ou l’impudique, même lorsqu’il le pouvait (ce qui pourrait en laisser plus d’un sur sa faim). Son film insuffle surtout un air nouveau, frais, qui redonne foi en une France du partage et du respect de la dignité de chacun, une France qui sait s’unir, qui sait lutter, qui n’a pas perdu l’espoir d’un avenir meilleur, et qui se raccroche aussi fort que possible à sa belle devise, quand d’autres semblent l’avoir oubliée : Liberté, Egalité, Fraternité.