Alors qu’il présentait Salamandra, son premier long-métrage, à la Quinzaine des Réalisateurs en 2008, Pablo Agüero a découvert dans une bibliothèque constituée exclusivement d’ouvrages ayant été interdits La Sorcière de Jules Michelet, dont la lecture l’a bouleversé : « Il décrivait ma propre enfance. Il m’a fait réaliser que, comme beaucoup de populations pauvres dans le monde, j’ai vécu dans les mêmes conditions que les gens du XVIIème siècle. » Cela lui a aussi ouvert les yeux sur la manière dont les sorcières étaient représentées au cinéma et en littérature. Il s'est rendu compte que le discours adopté était celui des inquisiteurs : « J’ai alors ressenti l’urgence de nous mettre dans la peau des victimes, des femmes, pour faire le premier film de sorcières sans sorcières. »
Depuis ses débuts, Pablo Agüero s’intéresse à des figures de femmes fortes soumises au regard des hommes. Première Neige et Salamandra s’inspiraient de sa mère, sortie de prison à la fin de la dictature argentine, essayant d’élever seule son enfant, confrontée au machisme et à l’inégalité sociale. Son documentaire Madres de los Dioses s’intéressait à des femmes mystiques tandis que Eva ne dort pas montrait comment le corps d’Eva Peron, même des années après sa mort, continuait de déranger les militaires et les membres de la CIA. Avec Les Sorcières d’Akelarre, « je montre ce regard, à la fois fasciné et effrayé, par lequel les hommes de pouvoir enferment les femmes dans une image fantasmatique pour mieux les contrôler, les diaboliser, les nier. »
La thématique de la sorcière, notamment par le biais des mouvements féministes, est beaucoup revenue sur le devant de la scène médiatique depuis la fin des années 2010. Ironie du sort, alors que le réalisateur a commencé l’écriture de son film en 2008, les producteurs lui reprochaient de traiter un sujet qui n’avait pas de résonance contemporaine. « L’attention médiatique sur le sujet des sorcières a déferlé alors que j’étais déjà en pleine préparation du tournage. Les Sorcières d’Akelarre a été rattrapé par l’actualité et tant mieux, j’espère que cela aidera les spectateurs à comprendre ce que les décideurs ne comprenaient pas quand j’ai commencé ce projet : que la thématique du film est toujours actuelle ».
Le film s’intéresse à la figure de Pierre de Rosteguy de Lancre , magistrat français connu pour avoir participé à un épisode de chasse aux sorcières dans le Labourd, au Pays basque au XVIIème siècle. Le réalisateur revient sur ce choix : « Pierre de Lancre est en quelque sorte le créateur du mythe du sabbat des sorcières tel qu’on le connaît aujourd’hui. De tous les juges de l’époque, c’est le seul qui admet explicitement que ces jeunes filles, trop belles, trop libres, « l’ensorcellent ». Le cliché voudrait que ce soient de vieilles guérisseuses. Or l’ouvrage de Pierre de Lancre montre à quel point la chasse aux sorcières, comme tant de régimes totalitaires qui en sont les héritiers, s’est acharnée à réprimer la jeunesse, attribuant une origine diabolique à la beauté et à la sensualité des femmes. »
Le réalisateur a procédé à beaucoup de recherches, accompagné par l’historienne Nicole Jacques-Lefèvre, qui a traduit le livre de Pierre de Lancre de l’ancien français. Il a aussi parcouru le Pays basque en compagnie de Claude Labat, un autre historien vulgarisateur spécialiste de de Lancre.
Après quelques années d’écriture solitaire, Pablo Agüero a ressenti le besoin de réécrire le film avec une femme. Il a effectué un véritable casting de scénaristes sorties des principales écoles de cinéma françaises et a rencontré Katell Guillou : « Sa clairvoyance narrative, liée à la grande connaissance de la littérature, m’a aidé à trouver la forme finale du film. Et avec sa singulière maîtrise du français, elle a contribué à rendre les dialogues relativement contemporains sans être anachroniques. »
Ce qui intéressait avant tout le réalisateur était de montrer un mécanisme d’oppression et non de savoir si ces femmes sont bel et bien des sorcières. Pourtant, il a reçu beaucoup de pressions pour donner à son film un virage plus commercial et fantastique mais a refusé de s’y soumettre : « ça aurait donné une légitimité à la chasse aux sorcières. Ça aurait été encore une fois la faute aux femmes... comme partout. Dans le film The Witch, la protagoniste est innocente mais il y a bien une vieille méchante qui mange des enfants. […] D’où l’importance de montrer que le fantasme de la sorcellerie ne vient pas des filles, mais du juge. C’est lui qui apporte la superstition démonologique. »