Hazard ou loi des séries, j’ai vu trois films qui affrontent tout de go la discrimination, la ségrégation sans précaution de langage. Les mots, les expressions sont cash et ça fait du bien dans un monde, qui de plus en plus, prend des pincettes par peur de représailles. « BlackKklansman, j’ai infiltré le Ku Klux Klan », « Tout simplement noir » et « Jojo Rabbit ». Voilà un film un tantinet audacieux. Audacieux parce qu’on peut s’autoriser à sourire des facéties de Hitler ! Celui-ci provient de l’esprit d’un enfant promis à l’idéologie du dictateur. Il est sa conscience, une conscience matérialisée. Ainsi, apparaît Hitler dès que Jojo l’invoque, pense à lui ou doute. Dans cette Allemagne nazie, Jojo pense Hitler, il est son moteur pour trouver le courage qui lui fait défaut, son inspiration, son guide. Taika Waititi, le réalisateur, s’est emparé du costume du dictateur. Il en fait un personnage bouffon, décalé. Pour autant, le réalisateur ne fuit pas la gravité de l’idéologie nazie. Et là aussi, on s’autorise à sourire des propos antisémites que Jojo tient envers une jeune fille juive. Il découvre dans sa propre maison, Elsa, qui à sa grande surprise, a été cachée par sa mère. Les propos qu’il tient, c’est-à-dire les préjugés, sont ceux de Hitler, ceux d’une Allemagne nazie qui nourrit son peuple de mensonges. La propagande nazie. Son rapport clandestin avec Elsa va peu à peu évoluer ; il va s’apercevoir que fréquenter une juive n’a rien de diabolique. Ce sont des personnes comme tout le monde. Il va surtout mesurer la souffrance de cette réfugiée. Sa conscience noire matérialisée par la présence de Hitler va peu à peu se dissiper. Toute cette monstrueuse idéologie sans cesse martelée dans son esprit, toutes ses certitudes, toute cette croyance qui rime avec ignorance vont voler en éclat. Et Hitler avec. Et l’Allemagne avec ! A cela s’ajoute une mise en scène délicate
comme cette séquence où Jojo découvre la mort de sa mère, pendue sur la place du village. La caméra s’attache à cadrer les chaussures. Et comme le spectateur est sensé les reconnaître, il partage à la fois la surprise et la douleur de Jojo de cette disparition soudaine.
Le réalisateur se gardera d’élargir le plan. Cette séquence est aussi forte voire plus forte qu’un plan général. Au-delà de la bonne prestation de Sam Rockwell, acteur toujours aussi surprenant, je salue la très belle interprétation de Roman Griffin Davis dans la peau de Jojo : tour à tour rayonnant et émouvant. Comme David Bennent en son temps dans « Le tambour », le jeune acteur Roman Griffin Davis incarne avec maturité un gosse manipulé par une immonde Allemagne de 39-45. Enfin, pour revenir à mon enthousiasme, je suis parfaitement conscient qu’il n’y a rien de nouveau quant au fait de s’autoriser à sourire de sujets graves comme Hitler, comme l’holocauste juif. Chaplin avec le « Dictateur » et Benigni avec « La vie est belle » ou Hazanavicius avec « OOS 117 : Rio ne répond plus » par exemple, ont pondu des films nettement plus audacieux. Mais par les temps qui courent où certains sont adeptes du « pas de vagues », ou d’aucuns souhaiteraient revoir l’Histoire, d’autres obsédés par la précaution de langage, ce « Jojo Rabbit » fait du bien et me rassure sur une certaine liberté de ton. A voir en V.O si possible.