‘’Jojo Rabbit’’ ou le film à l’incompréhensible rumeur. 6 nominations aux Oscars, prix du Festival de Toronto, critiques américaines (et non françaises) dithyrambiques, bande-annonce délirante… toute la comm annonçait un petit choc, ou, du moins, une œuvre prête à créer d’intenses débats. Après tout, les œuvres qui ont un Hitler en leur sein ont souvent déchaîner les passions. Mais ‘’Jojo Rabbit’’ est trop approximatif et enfonce trop de portes ouvertes pour créer une quelconque polémique (n’est pas ‘’Joker’’ qui veut).
Jojo Betzler est un garçon de 10 ans qui vit en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Fervent partisan du régime en place, il a pour ami imaginaire Adolf Hitler. Un jour, il découvre que sa mère cache une jeune fille juive dans leur maison. Jojo va alors remettre en question ses certitudes.
La 1ère impression peut faire illusion. On s’amuse bien devant le film : normal, on se mode des nazis. Que c’est hilarant de se moquer de choses évidentes comme le nazisme ! Ce n’est pas forcément ironique : ‘’Jojo Rabbit’’ parfois fait mouche. La distribution (surtout masculins : ne pas voir de machisme dans cette remarque) est parfaite : le jeune Roman Griffin Davis est irrésistible à la fois adorable dans sa naïveté, mais aussi terrifiant dans cette même naïveté. Et que dire du toujours désopilant Sam Rockwell dans ce rôle de capitaine nazi (légèrement) gay ? Sam Rockwell est de toute manière souvent hilarant (bon, pas vraiment dans ‘’La ligne verte’’). Il parvient presque à rendre émouvant son personnage, joli nuance pour montrer qu’un nazi peut avoir un coeur gros comme ça. Par ailleurs, le sujet du film pouvait intriguer. Voir le nazisme sous le prisme des jeunesses hitlériennes est une façon (sur le papier) de renouveler notre vision de ce régime sur le grand écran. Le film avait l’occasion de montrer les dangers des totalitarismes en étudiant la diffusion de la pensée unique chez les êtres les plus influençables : les enfants. Un élément du film peut sembler redoutablement intelligent : c’est d’assister au fanatisme d’un jeune garçon qui pourtant, est entouré d’une mère hostile au nazisme. Les parents sont souvent les premiers acteurs à influencer les idées et opinions des enfants. ‘’Jojo Rabbit’’ offre une situation glaçante, inhérente au processus d’aliénation engendré par les régimes totalitaires. Montrer qu’une propagande peut se révéler plus forte que l’amour d’une mère à son fils est tristement réaliste. Bref, il y avait tout pour que ‘’Jojo Rabbit’’ soit une œuvre riche en thématiques historiques.
Mais cette richesse peut-être un danger. Car il n’y a rien de plus périlleux pour un réalisateur et un scénariste que de faire un film à idées, à sujet. Le livre devait paraître être une mine d’or pour Taika Waititi. Mais apparemment la mine s’est tarie pendant l’adaptation et le tournage, au regard du résultat. D’abord, la réalisation. Faussement extravagante. Faussement original. Inutile de rappeler les œuvres qui ont été faites pour singer le nazisme (œuvres qui allaient d’ailleurs beaucoup plus loin dans la subversion). Cependant, le Néo-Zélandais lorgne vers un réalisateur qui n’a pas (pour l’instant ?) parler de nazisme dans sa carrière : l’américain Wes Anderson. Même sens du burlesque, même esthétique (couleurs orangées), même personnage loufoque… C’est à se demander si Waititi dispose d’un style qui lui est propre. Mais passons. Passons car la réalisation n’est que le cadet de ses soucis. C’est surtout le scénario de ‘’Jojo Rabbit’’ qui est critiquable. Déjà on peut se demander s’il est pertinent de situer l’intrigue à l’époque nazi. Car si l’embrigadement des jeunesses est le coeur du film, la finalité consiste à nous dire que le nazisme, c’est le mal ! Devant cette prise de risque fabuleuse (Chaplin ? Quel lâche ! Waititi est le vrai courageux du cinéma!), on finit par trouver tout cela très banal. Et même pire, on en vient à considérer ‘’Jojo Rabbit’’ comme un film facile, consensuel (franchement, à part les néo-nazis et ceux qui détestent les représentations d’Hitler, qui sera choqué par le film?) visant un public fantôme. Est-ce un film qui va enrichir les enfants ? Pas vraiment, il faudrait alors leur expliquer le contexte, les enjeux, les acteurs… (et surtout, les prévenir que le nazisme n’était pas cette bande de marioles demeurés et très drôlse mais était au contraire extrêmement dangereux). C’est donc un film pour les adultes ? Mais apprendre que ce régime n’était pas le plus sain qui soit, ça, ils le savent déjà ! ‘’Jojo Rabbit’’, c’est un film qui ne tente rien, qui ne fait rien que l’on ne sache déjà (sauf si, à la limite, on ne s’est jamais renseigné sur le sujet). Mais (et c’est le pire), c’est un film qui gâche surtout son potentiel en détruisant toute complexité. Il y a des films comme ça : disposant d’un sujet prompt à démêler l’ambiguïté de certains rapports sociaux pour finalement tout laisser en berne et aboutir à une morale et un message des plus simplistes. Plus qu’énervé, on sort de ‘’Jojo Rabbit’’ frustré. Frustré que le réalisateur, au prétexte de jouer la carte de la caricature n’ait pas cherché (ou osé) prendre à bras le corps son sujet. ‘’Jojo Rabbit’’, c’est le film qui va faire croire à l’idéaliste optimiste qu’il est aisé de comprendre les méandres tentaculaires du ‘’Mal’’. A l’instar d’un ‘’BlacKkKlansman’’ pour le Ku Klux Klan, ‘’Jojo Rabbit’’ tourne en dérision un groupe de fachos mais dans le même temps diminue l’amplitude de la menace que ce groupe représentait historiquement. Que dirait un enfant qui ne connaîtrait pas les nazis et qui verrait ce film ? Y verrait-il outre la simple condamnation de cette doctrine la terreur que pouvait représenter ce fléau ? Non parce que le nazisme, au prétexte de s’en moquer est réduit ici à une vaste bouffonnerie. Hitler ? C’était un salaud certes, mais aussi un ridicule pantin
que l’on chasse négligemment d’un coup de pied
… Mais la bouffonnerie, si elle pouvait être recevable dans certains films passe beaucoup moins dans ‘’Jojo Rabbit’’. La raison est liée à la visée du film qui consiste donc à scruter le fanatisme et le goût de Jojo pour le nazisme. Il était important de faire comprendre le caractère insidieux du régime, de montrer comment l’extrême-droite allemande avait réussi à séduire des millions d’Allemands. Quelles pouvaient donc être leurs raisons d’aller si loin en portant Hitler au poste de chancelier ? Hélas, ce n’est certainement pas avec ‘’Jojo Rabbit’’ que l’on obtiendra des réponses enrichissantes et constructives. Pire, le film avec ses grosses bottes de nazis passe à côté de son sujet. Les enjeux autour de l’endoctrinement des jeunesses sont ici réduits à pas grand-chose. Si bien que le spectateur ne comprend à aucun moment les raisons qui ont poussé Jojo à adhérer avec autant d’enthousiasme au nazisme. Comment en est-il arrivé là ? A quel moment s’est-il mis à croire dur comme fer à cette idéologie ? Et c’est là le gros problème du film : on ne croit à aucun moment au processus d’aliénation, qui pourtant existait bel et bien. Et même pire : ce qui a séduit tant d’Allemands à cette triste époque ne transparaît pas une seule seconde. Les nazis autour de Jojo ? Des cons qui le martyrisent à tout bout de champs.
Voilà pourquoi c’était une erreur d’avoir fait de la mère de Jojo une résistante
. Jojo ne devrait pas être nazillon compte tenu du peu d’attrait de son entourage ? On aurait malgré tout compris son amour pour le IIIème Reich si sa mère (premier source d’inspiration pour l’enfant) avait elle-même été nazie. Si tant d’enfants allemands adoraient autant le régime, c’était avant tout à cause de l’influence de leurs parents. Donc faisons la synthèse du postulat de base de ‘’Jojo Rabbit’’ : Jojo adore Hitler. Est-il donc entouré de gens qui sournoisement lui montre la ‘’beauté’’ et ‘’l’intelligence’’ du nazisme ? Non ils sont tous des imbéciles ! A-t-il donc une mère qui soutient le Reich ? Non, elle déteste ce qu’est devenu le pays. En bref, Jojo est mal écrit, car Jojo n’a au début du film AUCUNE raison d’être à ce point en adoration devant le nazisme (qu’il soit nazi d’accord, il peut-être influencé par ses camarades même si ces derniers le martyrisent). Par conséquent, Jojo dans son parcours vers la lumière n’a pas vraiment de mérite, et même est franchement idiot. Le postulat de base est incomplet : Jojo au début du film croit d’avantage à une bande d’idiots qui tuent gratuitement un lapin qu’à sa mère intelligente et généreuse. Ok mais pourquoi ? Pourquoi adorer ce nazisme (pas juste l’aimer, mais l’adorer ?). C’est le vrai point noir du film : pour qu’un parcours de personnage soit crédible et puissant, il faut que sa situation initiale soit tangible. Le point de départ de ‘’Jojo Rabbit’’ entache donc le chemin que va parcourir Jojo. Chemin qui est d’ailleurs totalement bateau et attendu (nommé à l’Oscar du meilleur scénario adapté ? Pour récompenser une œuvre prévisible dans ses enjeux et qui chausse de gros sabots ?). Taika Waititi a t-il eu peur de montrer le nazisme sous un jour séduisant ? On peut le comprendre, il n’empêche, il fallait un minimum le faire pour rendre crédible l’incipit du film. Montrer que oui, le nazisme pouvait revêtir ses plus belles parures, dès qu’il s’agissait de faire tourner la tête aux jeunes garçons. Il n’en est rien ici, Jojo n’ayant aucune raison d’idolâtrer le nazisme en début de film, son parcours de personnage coule de source et n’a rien d’héroïque. Dans un registre et une époque différente, ‘’La vie des autres’’ offrait un portrait d’aliéné bien plus percutant. Et surtout, montrait de façon bien plus subtil et pertinente la remise en cause des certitudes de cet aliéné.
Le nazisme, alors bien implanté en Allemagne réunissait un grand nombre de partisans via sa propagande. Mais en réduisant le nazisme à une bouffonnerie, Taika Waititi se vautre complètement, notamment sur deux points. D’une part, il amoindrit le danger que cette politique représentait (qu’est-ce qu’on s’amusait, avec Hitler et les gestapistes!). D’autre part, en caricaturant et en ridiculisant la pourtant très efficace propagande nazie, l’auteur rend inopérant son postulat de base qui consisterait à faire croire au spectateur que Jojo adorerait le nazisme. Et qu’on ne parle pas de courage : Chaplin en avait à l’époque. Si encore, le film offrait la possibilité de faire des ponts avec notre époque. Mais de nouveau, le discours du film paraît bien inutile à l’heure ou l’extrême-droite revête des visages très différents de ceux présentés dans ‘’Jojo Rabbit’’.
A la fin de film, alors que Jojo marche hagard sur le champs de bataille, on peut voir les derniers nazis, complètement fanatiques continuer le combat, quitte à y laisser leur vie. Et on se dit alors que Waititi aurait peut-être dû faire un film sur ces hommes-là, ceux qui ont cru jusqu’au bout devoir défendre l’idéologie la plus sombre de l’histoire de l’humanité
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