Michael Pearce envisageait ce projet depuis plusieurs années et a commencé à lui donner forme à l’époque où il était étudiant à la National Film and Television School. "J'ai grandi à Jersey et je savais que je souhaitais y tourner mon premier film. Les paysages, spectaculaires et sauvages, y sont incomparables. Les valeurs et les traditions culturelles y sont encore assez conservatrices. Quand j'étais enfant, c'était à la fois libérateur et un peu étouffant". En 2011, Kristian Brodie, alors directeur du développement chez Agile Films, a pris une option sur le scénario de Jersey Affair. Il a alors développé le scénario avec Pearce pendant deux ans, travaillant en collaboration avec le dispositif Script & Pitch du Torino Film Lab.
Michael Pearce a été frappé par l’histoire de la « Bête de Jersey », redoutable violeur d’enfants qui a sévi sur l’île pendant dix ans dans les années 1960 : il s’est alors intéressé aux intrigues révélant l’horreur qui se dissimule sous l'illusion rassurante d’une petite communauté en apparence irréprochable. Peu à peu, Pearce a souhaité raconter une histoire en adoptant le point de vue d’une femme pouvant bien être intimement liée à un monstre.
Michael Pearce a souhaité faire en sorte que Jersey Affair soit plus un récit mythique qu'un fait divers actuel. Le metteur en scène explique : "J’ai pris conscience que cette histoire évoquait un conte de fée. Il s’agit d’une héroïne en apparence naïve, enfermée dans un milieu familial étouffant, qui s’aventure dans les bois et rencontre un homme qui pourrait être le prince charmant... ou le grand méchant loup. J’ai continué à m’inspirer des codes du conte de fée, et j’ai envisagé le scénario comme l’histoire d’une femme qui prend le pouvoir. Alors, si le film côtoie plusieurs genres – le thriller, l’histoire d’amour, l’horreur psychologique, le mélodrame familial – et emprunte à tous ces registres à la fois, il s’agit en définitive d’un conte de fée tragique et sombre pour adultes."
Pour le personnage de Moll, qui tombe amoureuse d'un homme mystérieux, Michael Pearce recherchait une actrice qui pourrait jouer une femme d’apparence effacée chez qui couve un feu intérieur. "On a envie que Moll s’échappe de cette prison où elle est enfermée, mais on est effrayé par la trajectoire dans laquelle elle s’engage. Il me fallait une comédienne capable d’exprimer les tensions et les pressions que subit Moll", raconte-t-il. C'est pour cette raison que Jessie Buckley, qui venait d’achever le tournage de la série Guerre et paix pour la BBC, a été choisie.
Si Jersey Affair ne se déroule pas à une époque précise, Michael Pearce (II) ne voulait pas non plus que le spectateur ait le sentiment que son histoire se passe de nos jours. Le metteur en scène souhaitait au contraire instaurer un climat plus atemporel et nostalgique. Il confie : "Je me suis dit que cette atmosphère était plus propice à la dimension de fable et de conte de fée que je cherchais à installer. Par conséquent, je me suis inspiré de mes souvenirs d’enfance sur l’île, dans les années 80, pour chacun des éléments de la mise en scène – décors, costumes, angles de prises de vue, palette de couleurs – et j’ai essayé d’insuffler cette atmosphère au film."
En compagnie de son directeur de la photographie Benjamin Kracun, Michael Pearce a cherché à créer deux univers différents : la « prison » où Moll se retrouve enfermée – son milieu familial, ses rapports avec la police et la petite communauté – et le monde plus libre de Pascal. "Le premier est rigide, conservateur et étouffant, si bien qu’on a privilégié les décors aux lignes géométriques et les mouvements de caméra stabilisés, quelques effets de zooms assez lents et des compositions très sophistiquées. Le second est plus organique et vivant : on a tourné caméra à l’épaule en mettant en valeur les matières naturelles. Notre démarche a été semblable au montage : le rythme est plus soutenu quand Moll est prise au piège, et dès lors qu’elle est avec Pascal, on a davantage une impression de flottement", précise le metteur en scène.
Michael Pearce tenait à tourner à Jersey. Cela étant, et en raison du statut fiscal complexe de l'île, il aurait été trop coûteux d'y tourner l’intégralité du film. Par conséquent, après d’intenses repérages, la majorité des scènes d’intérieurs a été filmée dans le Surrey où l’architecture des maisons et le style de décoration correspondaient à l’univers feutré et conservateur de la famille de Moll. Par ailleurs, le cinéaste ne souhaitait pas faire de l’île un personnage à part entière du récit :
"Je ne souhaitais pas que le suspense soit lié aux paysages. Au contraire, je tenais à utiliser les sites les plus spectaculaires de Jersey – les falaises d’une beauté à couper le souffle, les plages préservées – comme contrepoints de l’horreur des crimes qui y sont commis. D’une certaine façon, le film est plus proche des thrillers ruraux français que des polars anglais. Il s’agissait de faire surgir le danger d’un espace rassurant et de montrer qu’une menace terrible peut se cacher sur une île paradisiaque ensoleillée", confie-t-il.