Mon film préféré de Quentin Tarantino… Plus encore, le film qui m’a fait aimer et comprendre Tarantino. Moi qui avais toujours été sceptique vis-à-vis de la filmographie du cinéaste jusqu’alors, je me souviens comme si c’était hier du choc ressenti lorsque j’ai découvert Once Upon A Time … In Hollywood lors de sa sortie en salles. Un bouleversement, l’impression d’une révélation, de percer enfin le mystère Tarantino, qui me paraissait si flou auparavant et qui après le visionnage, résonnait comme une évidence. Il est d’ailleurs étonnant que j’aie mis autant de temps avant d’écrire cette critique, près de 5 ans et 4 ou 5 visionnages plus tard. Mais devant un film comme Once Upon A Time … In Hollywood, d’une densité et d’une puissance aussi forte, on est comme paralysé, le risque de mettre des mots sur des émotions étant de ne pas réussir à traduire le ressenti de la manière dont on le souhaiterait. Je m’y mets cependant, étant déçu de voir que les critiques ne sont pas toujours tendres vis-à-vis du film, avec la volonté de partager ce que moi j’ai ressenti, en espérant que certaines personnes s’y retrouvent. Once Upon A Time … In Hollywood, c’est l’histoire de la fin d’une ère. En 1969, l’Amérique n’a jamais été aussi divisée, le clivage opposant des jeunes qui ne se reconnaissent plus dans leur pays, qui ne croient plus en leurs institutions notamment depuis la Guerre du Vietnam, et qui militent pour une société plus libre, affranchie des tabous et des règles, prônant une contre-culture, dans laquelle on retrouve bien sûr le mouvement Flower Power et les hippies, à une Amérique vieillissante qui ne comprend pas forcément ses jeunes et leurs revendications, et qui persiste à penser que tout ça n’est qu’une mode, et que cela passera. Et Hollywood est alors un exemple parfait de ce clivage. C’est dans cet univers que vont évoluer les personnages du film : d’un côté Rick Dalton (Leonardo DiCaprio, dans un rôle magnifique, désarmant de sensibilité et drôle de bout en bout), acteur de western sur le déclin, qui commence à se poser de sérieuses questions sur la suite de sa carrière, et Cliff Booth, son cascadeur et ami de toujours, et de l’autre Sharon Tate, jeune actrice qui débute dans le métier et qui est promise à un bel avenir, et mariée au jeune réalisateur en vogue Roman Polanski. C’est leurs destins croisés qu’explore Tarantino dans le film. On y suit le difficile retour aux tournages de Rick, confronté à sa peur d’être démodé, le voyage de Cliff (Brad Pitt, oscarisé, fait de son personnage un mythe de cinéma, aussi cool que McQueen) au cœur de Los Angeles, dans sa voiture avec de la bonne musique, jusqu’au repère de la famille Manson, et le quotidien de Sharon Tate (Margot Robbie, d’une grâce hypnotisante) dont l’innocence semble métaphoriser à elle seule tout l’esprit de l’époque… Ces personnages, Tarantino les filme avec amour et il nous le transmet bien. On est ému, on rit et on est émerveillé devant cette reconstitution minutieuse de l’atmosphère de l’époque. Et surtout, Tarantino sait faire durer le plaisir. Tout ce qu’il construit dans le film, il le fait avec patience et avec une tendresse infinie pour l’œuvre qu’il est en train de bâtir. Quand on connaît la cinéphilie de Tarantino, on sait qu’il a toujours été fasciné par les années 60 et par cette époque charnière en particulier, marquant la fin de l’Ancien Hollywood, qui devra passer le relais au nouveau (au Nouvel, en l’occurrence). Et quel plaisir de le voir recréer cet univers avec un sens du détail absolument extraordinaire : tout dans les décors, les couleurs (Magnifique photo de Robert Richardson, chef opérateur connu pour ses couleurs vives, vues dans Casino, entre autres, …), les personnages, parle de cinéma. Tarantino a enfin compris comment utiliser sa cinéphilie, en la transmettant au spectateur, en la lui faisant littéralement vivre. Il a enfin compris que parler de cinéma dans un film, ce n’était pas de faire un simple patchwork de ses références, c’était au contraire de les faire vivre à l’écran mais dans un nouvel écrin, avec son style à lui. Pour moi, avec Once Upon A Time … In Hollywood, Tarantino a enfin trouvé son style et le porte à son paroxysme. Il nous raconte qui ont été ceux qui ont fait le cinéma, et il nous fait vivre un monde où tout semble articulé autour du cinéma. Once Upon A Time … In Hollywood est un rêve éveillé pour nous, les cinéphiles. Et tout cela, il le fait avec une infinie tendresse.
Même quand il s’agit de filmer la fin d’une ère, en l’occurrence celle de l’innocence, dont Rick et Cliff font partie intégrante. Celle où on tournait des westerns entre copains, entre artisans, entre artistes et où il n’y avait rien de plus doux que de rouler dans Los Angeles en écoutant de la bonne musique, et en partageant des pizzas devant la télé avec ses amis. Rick et Cliff le comprennent, ce temps est fini. La jeunesse a besoin de nouvelles idoles, de personnes qui révèlent les secrets de l’Amérique et qui explorent les failles de l’humain et sa profondeur. C’est le début du Nouvel Hollywood. Plus le film avance et plus la fin de ce dernier été semble inexorable. Rick sait que son heure de gloire est terminée, et Cliff comprend que tout ne sera plus comme avant. Et pourtant, plus le film avance, plus les séquences s’étirent, comme si le temps semblait ralentir. Comme si les personnages, ayant accepté la fin de leur monde, décidaient de profiter pleinement des derniers rayons d’un soleil au crépuscule, en sachant que le futur n’annonce que des ciels gris. Une profonde mélancolie s’en dégage, comme dans Rio Bravo, film de chevet de Tarantino.
Et là où on s’attend à une fin pessimiste, mais réaliste, Tarantino décide de ne pas laisser mourir cet univers qu’il a créé et qu’il aime tant, et d’offrir à nos deux héros une dernière heure de gloire, sauvant Sharon Tate, sans le savoir, d’une mort certaine. Un grand final jubilatoire, qui peut étonner tant cela rappelle une violence que Tarantino semblait avoir délaissé, mais qui ne peut que nous faire chaud au cœur, tant on aime ces personnages qu’il a créé. Il le fait car il sait, en bon cinéphile, que la fiction peut dépasser la réalité, et que nous ne sommes qu’à un coup de crayon de pouvoir laisser l’enchantement continuer.
Once Upon A Time … In Hollywood, c’est un bijou d’écriture, de réalisation aussi (Derrière la caméra, Tarantino montre qu’il n’a rien perdu de sa virtuosité, avec des travellings d’une fluidité époustouflante) mais surtout un hommage magnifique au cinéma, servi par des acteurs au sommet et par une BO extraordinaire (Simon & Garfunkel, Paul Revere & The Raiders, José Feliciano, …). C’est un film plein d’amour, qui nous donne à vivre toute une époque, sur un plateau au côté de Rick Dalton, au volant d’une voiture avec Cliff Booth ou dans un cinéma avec Sharon Tate. Et l’enchantement continue.