L'idée de départ de Guy est venue des réflexions sur le temps, sur la filiation, et des propres mises en abyme d'Alex Lutz: ses créations de personnages. "J’avais envie de revenir à quelque chose de plus essentiel dans ma création artistique : l’art du portrait, que, sur scène, les spectateurs semblent également apprécier. Est née peu à peu l’envie de ce faux documentaire sur un chanteur que les medias ont peut-être oublié, mais qui continue de travailler, d’avoir une relation privilégiée avec le public… Moi aussi, comme Guy, je suis tout le temps sur scène, dans toute la France. J’en blaguais avec Thibault Segouin, l’un des co-scénaristes du film : qu’est-ce que ça sera de rejouer le même sketch, dans quinze ans, dans une ville où j’aurai déjà joué cent fois ? Donc, ça vient aussi pas mal de moi. De mon envie d’apprivoiser mes cauchemars, de mes interrogations sur le temps : c’est étrange, la phrase que je viens de dire est partie aussitôt que je l’ai dite, ou aussitôt que vous en avez lu la transcription. Disparue… Ça me touche, le drôle de bail qu’on a tous avec la vie : on naît avec un bail dont on ignore la date de fin, et il faut se débrouiller avec ça. Guy vient aussi de là."
Selon Alex Lutz, le film est très construit. Il fallait arriver à un séquencier qu’aurait pu rédiger quelqu’un souhaitant faire un document sur Guy Jamet. Avec certaines séquences très ouvertes et d’autres contenant déjà des éléments de dialogue. "Thibault Segouin et Anaïs Deban, mes co-scénaristes, m’ont aidé à structurer : je savais ce que je voulais, alors je leur donnais les clés, je les reprenais, c’était un va-et-vient. Je jouais aussi avec eux pendant les séances d’écriture : je jouais Guy et c’est dans cet amusement, très récréatif, que le personnage a pris forme, qu’on a trouvé comment serait sa femme, etc. J’aime bien aussi faire des interviews : Thibault et Anaïs m’interviewaient, et Guy leur parlait de ses parents, de son parcours, etc. Ils ont rédigé sa biographie, ils ont aussi travaillé sur les chansons", confie Alex Lutz.
Alex Lutz a imaginé Guy comme une personne existant par elle-même. S’il est référencé, c’est plutôt par son époque : "Il doit y avoir une photo de lui faite par Jean-Marie Périer pour Salut les Copains. Beaucoup d’artistes de cette génération ont traversé les époques et leurs modes musicales : ils ont eu leur période engagée, leur période « funk exotique », leur « look » années 80, etc. Et ceux qu’on a vu s’éloigner de l’oeilleton médiatique, cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas continué à tourner à travers la France. Bien sûr, il est évocateur de grands artistes populaires : il y a chez lui du Herbert Léonard, du Guy Marchand, du Michel Delpech, du Julien Clerc pour certains côtés, et même du Franck Michael, qui a toujours son cortège de fans et « blinde » des salles. Je crois que chaque spectateur fera sa cuisine là-dedans, y retrouvera quelque chose d’un ou des chanteurs qu’il aime, avec le coeur qui bat, qui pour un slow, qui pour l’artiste favori de sa mère… J’ai toujours été touché par ce que Sylvie Joly appelle les « petits choses dérisoires ». Comme ces refrains qu’on entonnera peut-être lors d’un mariage. Derrière ce refrain, il y a une vie, un homme, un compositeur, une équipe, un arrangeur, un pianiste, et aussi un divorce, un cancer, etc.", analyse le réalisateur.
Alex Lutz a collaboré avec Vincent Blanchard à l'élaboration des chansons de Guy : "J’avais déjà travaillé avec Vincent Blanchard, du groupe Joad, qui possède une inventivité formidable, et une grande capacité à faire des « à la manière de ». Je lui ai demandé de créer un répertoire d’une douzaine de chansons, que j’ai chantées avec trois voix différentes, selon la période, du début des années 60 à aujourd’hui, en allant plus dans les graves en vieillissant, parce que la voix bouge… Leur difficulté, à Vincent et à Romain Greffe, qui cosignent les musiques, c’était d’imaginer de probables tubes. Il y a une ou deux chansons qui sont davantage des « Face B », mais Guy est un chanteur qui a eu une dizaine de succès depuis Daddy, en 1963.
À ne pas confondre avec Dadidou. C’est un peu le problème de Guy Jamet : en terme de stratégie, ce n’est pas le meilleur. Quand ton premier tube s’appelle Daddy et le deuxième Dadidou, c’est un peu idiot… En fait, vous avez fait ce film pour le plaisir de chanter… Non, d’ailleurs, j’aurais pu imaginer la vie de Guy Jamet sans jamais le montrer au travail. Mais je voulais montrer le lien physique très fort entre un artiste de variétés et son public. Ce lien charnel. Quand il dit : « Deux heures de passées », c’est ça. C’est tellement concret, tellement physique ce métier… On a filmé quatre ou cinq concerts, sur trois jours. En profitant des salles de Jean-Marc Dumontet, qui produit mes spectacles et a aussi coproduit le film : le Théâtre Antoine, Bobino, etc."
Alex Lutz devait se faire maquiller 4 à 5 heures par jour afin de se glisser dans la peau du vieillard Guy Jamet : "Je cherchais un style, j’avais photographié un type que j’avais vu furtivement dans la rue, j’avais envoyé la photo à ma costumière. Et puis, aux Molières, j’avais fait un pastiche de vieil acteur, un peu comme une maquette. Ensuite, on a trouvé Guy petit à petit. Le coiffeur Antoine Mancini, qui, finalement, n’a pas fait le film, a eu l’idée des cheveux blancs. J’avais peur que ça fasse un peu sketch, mais il m’a conseillé d’être radical. Après, il fallait un maquillage crédible. Je savais que le poste « Habillage Maquillage Coiffure » serait le plus cher sur le film, ce qui était compensé par le style de filmage, avec des mises en place très légères. Laetitia Quillery et Geoffroy Felley me maquillaient tous les matins, pendant quatre ou cinq heures : je dormais, je faisais mes mails, je parlais aux assistants, c’est un excellent souvenir."
Tom Dingler, qui incarne Gauthier, le jeune homme qui filme Guy Jamet, est un ami d’adolescence d’Alex Lutz et l’un de ses proches collaborateurs. C'est lui qui a notamment signé la mise en scène de son nouveau spectacle. Tom est aussi le fils de Cookie Dingler, dont le tube Femme libérée avait squatté le Top 50 à l’hiver 1984-85. "Guy est un personnage qu’Alex avait déjà imaginé sur scène, en un peu plus âgé, un peu plus caricatural. En sketch, on perd en réalisme ce qu’on gagne en comédie... Il a eu envie d’incarner ce personnage, il en a fait un chanteur, il aurait pu en faire un vieil acteur. Et puis, petit à petit, au fur et à mesure qu’il avançait l’écriture, il a dû aussi s’inspirer de gens qu’il connaît. En découvrant Guy au tournage, j’ai compris qu’il y avait un peu de mon papa en lui", confie Dingler.
Pour donner la réplique à Alex Lutz, Tom Dingler était collé au chef-opérateur, avec une perche juste au-dessus de la tête. Quand l’opérateur déplaçait la caméra, il fallait qu'il passe par en dessous, comme une danse à trouver... "Très vite, j’ai eu un super rapport avec lui : son travail, c’était d’être mon oeil, hyperactif par rapport à ce que je pouvais faire et dire. En voyant les premiers rushes, une scène qui a été finalement coupée, je me suis rendu compte que je me substituais aux spectateurs et que toutes les réactions que je pouvais avoir, du type «Ah oui», «D’accord», etc., étaient très polluantes. Il valait mieux rester silencieux, être en observation. Ce qui était difficile, c’est de se dire : on ne me voit pas. Chaque intervention devait être importante et juste, puisque ce n’est que de la voix. La direction d’Alex était essentielle", se souvient Tom.
Alex Lutz a remporté le César du meilleur acteur pour Guy. Le film a également reçu le prix de la meilleure musique.