Le film, en trois parties, est bien construit. Le premier tiers montre la beauté de la vie du jeune couple : la beauté de leurs corps, celle de leurs filles, la noblesse de la caserne, avec son rappel quotidien des morts au feu et du chant de la Marseillaise, l'entraînement des pompiers, leur imperturbable force de caractère dans diverses situations, leur humanité aussi (scène du tout début) ; mais aussi la complicité dans le couple, nourrie de désir et jeu. Les parents sont gentils, bref tout l'entourage est parfait.
On comprend bien que c'est pour renforcer le contraste avec la seconde partie. Mais c'est si mal joué : les dialogues sont monocordes et chuchotés, jamais interrompus comme dans la vraie vie, ils n'ont aucune spontanéité. Il y manque non seulement l'énergie de la vraie vie, mais aussi la joie : aucun des personnage n'est habité par la joie ! Même le couple Franck-Cécile ne montre pas de joie : il n'affiche que du plaisir d'être beau et ensemble. Cette vision des gens et de la vie m'a agacée, je l'ai trouvée pathétique.
Le deuxième tiers montre la déchéance de Franck, que l'acteur joue très bien. Mais cet effondrement n'est pas très cohérent avec le mental d'acier de Franck montré dans la première partie. Il n'est pas paralysé, il n'a pas perdu ses cheveux, son nez, ses oreilles et ses lèvres comme la jeune Jacqueline Saburido, il garde une apparence à peu près normale, il a une femme et deux filles qui ont besoin de lui et il pense à mourir ? Ce n'est pas très réaliste.
Bon, admettons. Que cela arrive quand même pourrait se comprendre. Mais quelle est l'excuse des autres ? Pourquoi se vautrent-ils tous dans la pleurnicherie et la niaise sensiblerie, dans la gêne et la pitié ? Où sont les vrais hommes ? Aucun des personnages n'a de personnalité ou de caractère, ça manque cruellement. Une seule fois, après avoir écouté son discours à se flinguer, on voit une infirmière dire à Franck "Vous réussirez, vous en avez les moyens" et c'est tout. Puis elle sort et pleure derrière la porte. Mais où on voit ça dans la vraie vie ? Nulle part ! Dans la vraie vie, le personnel spécialisé vous rappelle que ça aurait pu être pire, vous montre tout ce que vous avez de bien, il vous remet sur les rails et il ne pleure pas pour ça.
Autre chose qui n'est pas réaliste : le pseudo pompier parfait qui avait tout pour plaire ne s'intéresse pas aux autres patients qu'il croise durant ses nombreuses hospitalisations. Si le réalisateur avait lu "Patients", le livre de Grand Corps Malade, il aurait compris que quand on est équilibré et qu'on aime les gens, on s'intéresse à eux quoi qu'il arrive. Le personnage de Franck est beaucoup trop abattu et centré sur lui-même pour un pompier qui était aimé, sociable et en très bonne santé mentale avant son accident.
Et sa femme est sotte : elle ne sait plus si elle est toujours amoureuse de lui. Au début on est amoureux, mais après s'installe l'attachement : on aime vraiment. Ici, on a l'impression que parce qu'il marche et parle au ralenti, et ne peut plus rien soulever, son mari n'est plus digne de son amour. Pourtant c'est la même personne ! C'est odieux ! D'autant plus que ça ne se voulait pas odieux, c'est là que le bât blesse : on voit bien que l'auteur voulait montrer que le dégoût de madame était justifié. Mais c'est manqué, parce qu'un mari comme celui-là, grand, beau, gentil, musicien, valide, j'en connais plus d'une qui en voudraient bien !
Et c'est quoi cette assistante sociale qui prévient Franck que les gens vont se montrer choqués, juste parce qu'il porte un fin masque transparent sur le visage ? C'est du grand n'importe quoi.
Le troisième tiers marque... (SPOIL)
Le retour à la vie, à la normale, en somme une guérison.
Enfin, Franck redécouvre que les autres existent et s'intéresse à eux. Deux ans après l'accident, il était temps. C'est vrai que maintenant qu'il est presque redevenu top modèle, c'est plus facile.
Franck demande pardon à Cécile de ne pas l'avoir souvent remerciée d'avoir été là pour le soutenir. Ah bon, mais... à quel moment la voit-on soutenir son mari ? A quel moment lui dit-elle des paroles réconfortantes comme "je t'aime mon Franck, je t'aimerai toujours, tu es toujours le même Franck que j'aime et qui me fait rire" ? A quel moment où il en avait le plus besoin a-t-elle attisé son désir, joué à la coquine, tenté de le faire rire, montré de la joie ? A aucun moment.
Et le culot qu'elle a à la fin, de lui dire que ses filles avaient besoin de leur père, m'a achevée : à aucun moment elle ne le lui a rappelé, et c'est elle qui est partie, tandis qu'il lui suppliait de rester en lui disant qu'il l'aimait.
Ce film est pathétique, il ne montre rien de beau du coeur des gens. Si c'est là la vision du réalisateur de l'humanité, alors elle est terrifiante. S'il a voulu montrer de la sobriété et de la pudeur, il n'a rien compris.