Pour son deuxième film, après l’épatant « Affaire SK1 », Frédéric Tellier se met à jouer au funambule. C’est clair, avec un thème comme celui-là, les écueils sont nombreux : tomber dans le cliché, la caricature du héros qui se relève courageusement de tout, ou au contraire sombrer dans le pathos, multiplier les effets dramatiques, ou bien encore verser davantage dans le documentaire que dans la fiction. La reconstruction d’un pompier dans un service des grands brulés, c’est un sujet très lourd sur le papier, et au final « Sauver ou Périr » s’avère être un long métrage équilibré, qui, même s’il tangue un peu parfois, tient bien en équilibre sur le fil de l’émotion. Comme dans son premier film, Fréderic Tellier opte pour une narration qui fait des sauts de puce : d’une scène à la suivante, 8 semaines ont passés, ou 8 mois, ou 3 jours, on le comprend vite au détour d’une image, d’une parole. Cette forme de narration lui permet, sans être trop didactique (il n’y a pas d’indications au bas de l’écran), de raconter sur 2 heures 3 ou 4 années de vie, sans s’appesantir trop longtemps sur les moments difficiles. Parce que bon, on ne va pas se mentir, cette séance de cinéma est forte en émotion, si l’on excepte les 15 premières minutes (qui lorgne davantage vers le documentaire) et les 15 dernières, les 90 minutes du milieu ne sont pas toutes faciles à digérer pour le spectateur : je n’avais pas versé autant de larmes au cinéma depuis bien longtemps ! Ce n’est pas tant les scènes de souffrances physiques qui serrent le cœur (elles sont fortes mais heureusement courtes) mais bien l’immense désarroi moral qui submerge Franck, sa mère, sa femme et même parfois le personnel soignant. On a l’impression d’une marrée de dépression qui monte, contre lequel tout le monde lutte mais qui monte et monte toujours. « Sauver ou périr », c’est l’histoire d’un homme qui doit tout réapprendre, marcher, manger seul, boire, parler mais qui doit surtout réapprendre à se regarder dans la glace, à se voir dans les yeux de ses amis, de ses anciens collègues, de sa femme. Franck doit accepter de ne plus être le même physiquement, professionnellement mais même plus que ça : de ne plus être le même tout court. Le scénario insiste sur le parcours de Franck mais aussi sur l’accompagnement qui permet sa guérison : les infirmières, les kinés, les médecins, les amis, tout ceux qui l’aiment et veulent l’aider. Ce film fait penser à « Patients », le film de Grand Corps Malade, en plus douloureux quand même, et en moins drôle. Pour Franck, l’ancien pompier, s’appuyer sur les autres n’est pas naturel. Alors forcément, il les repousse, se détourne et cède au désespoir. C’est là où le film trouve sa vraie dimension : Franck Pasquier n’est pas un héros valeureux et exemplaire, qui s’est courageusement relevé d’un drame abominable, c’est un homme qui doute, vacille, se montre injuste, flirte avec le suicide avant de se relever, une fois qu’il a compris qu’accepter l’amour et l’aide des autres le sauvera. Frédéric Tellier nous offre le portrait d’un homme qui accepte sa destinée, comme des milliers d’accidentés de la route ou de malades du cancer le font tous les jours, partout dans le monde, en évitant tous les clichés sur le pompier surhomme ou l’épouse héroïque qui surmonte tout. Son film dure deux heures pile et pas une seconde d’ennui à la clef avec une musique peut-être un peu trop présente par moment, mais pas désagréable. C’est filmé proprement : la scène de cauchemar est peut-être un tout petit peu « téléphonée » mais la scène de l’incendie qui va tout faire basculer est très bien rendue. Il nous prouve aussi par là que pour filmer un incendie de l’intérieur, ce qui est une prouesse technique, nul besoin d’en faire des tonnes et d’utiliser des effets spéciaux ultra spectaculaires pour être efficace en termes de rendu… et d’angoisse pour le spectateur. Le maquillage de Pierre Niney est également impressionnant, parce que là aussi, il le défigure sans en faire des tonnes. C’est bizarre de le dire ainsi mais les brulures de son visages sont certes bien visibles mais pas exagérées, pas insoutenables à regarder, elles ne changent pas son visage au point d’être méconnaissable, elles sont réalistes, en tous cas elles m’ont semblées réalistes. Pierre Niney incarne avec Franck Pasquier toute la palette des sentiments, charmeur et invincible au début (et sacrément musclé, dis donc !), il passe une grande partie du film sous d’épais bandages et ne peut exprimer ses émotions que par la parole, un « maman » bouleversant par exemple. Une fois les bandages enlevés, il incarne un homme fermé, prisonnier de lui-même et de masque en plastique qu’il porte en permanence, comme un bouclier contre le regard des autres C’est symboliquement une fois libéré de ce masque que le contact avec le monde extérieur redevient doucement possible. Anaïs Demoustier, quant à elle, incarne une jeune épouse courageuse (jusqu’à un certain point, bien entendu), amoureuse mais désemparée devant cet homme méconnaissable dans tous les sens du terme. Leur couple est survivra-t-il ? Peut-être que oui, peut-être que non, mais le personnage de Cécile est très fort, parfaitement tenu par une comédienne qui prouve qu’elle en a encore sous le pied en terme de performance. Que dire de plus sur « Sauver ou Périr », que c’est un film qui tient la route, d’une grande intensité, sur lequel souffle aussi, paradoxalement, un vrai souffle de vie et d’optimisme, un souffle léger, ténu, qui s’éteint presque par moment mais qui finit par souffler de plus en plus fort au fil des scènes, au fil des minutes qui passent. « Sauver ou périr » n’est pas un film qui existe pour donner des leçons d’héroïsme au monde entier, c’est un beau film sur le courage ordinaire d’un homme ordinaire confronté à un drame extraordinaire. Si l’on accepte l’idée d’être bouleversé, de verser quelques larmes, d’avoir le cœur serré parfois, alors il faut aller voir ce film, on en sort certes tout chamboulé, mais aussi étrangement serein.