Après les douze chapitres de Joachim Trier, la Norvégienne Joanna Hogg (Unrelated, Archipelago, Exhibition) nous propose deux volumes sur sa Julie. Cette première partie se consacre à la découverte d’un point de vue, qui peine malheureusement à atteindre l’objectif de l’héroïne, miroir romanesque de la cinéaste elle-même. Nous sommes à mi-chemin vers l’autobiographie, qui la ramène à ses fins d’étude, où un film devra attester de son vécu et de son apprentissage. Autant affirmer de suite que l’on se dirige vers une élocution méta, toujours bienvenue et stimulante, dès lors qu’il sache faire parler les émotions. Et c’est le cas. Une histoire d’amour, ce n’est pas l’accroche la plus originale, ni la plus provocante, mais avec un autant de sincérité dans le non-dit, Hogg conte parfaitement sa jeunesse à travers les fragments d’un amour fragile.
C’est évidemment le point fort de cette narration, qui ne cesse de surprendre dans son découpage, où les ellipses s’enchaînent avec une décharge émotionnelle ou à défaut de réflexion. Julie ambitionne fortement une carrière de réalisatrice, mais elle trébuchera sur assez d’obstacles, qu’elle ne parvient plus à tenir correctement sa caméra. Elle s’efface dès l’instant où nous la rencontrons, car elle peine à exister dans un récit qui ne semble pas lui appartenir. Vivant au gré de ses amis ou sa famille, notamment en demandant sans cesse des fonds auprès de sa mère, son quotidien devient une étrange métaphore de la construction de soi. Nous avons beau découvrir chaque miette de sa personnalité, mais ce sera rarement elle qui viendra les ramasser pour les regrouper. Honor Byrne-Swinton et sa mère Tilda, se réconfortent alors mutuellement dans leur rôle sur-mesure, jusqu’à ce que le charismatique Anthony (Tom Burke) débarque dans le champ de vision d’une Julie, en manque d’inspiration.
Leur vie commune à Londres est alors ponctuée de musiques pop, qui contraste avec le décor luxueux et bourgeois d’un appartement londonien, qui ne ressemble pas tout à fait à cette apprentie cinéaste. Il s’agit pourtant d’un piège inévitable, qui la retient dans cette cage blanche et dorée, où les reflets révéleront bien plus de faille dans sa relation que son manque d’assurance, lorsqu’il s’agira de faire appel à son imaginaire. La rupture avec la réalité ne fait aucun doute, mais comment la dissocier du mal qui s’est invité chez elle, chez eux ? La drogue aura son mot à dire et plus encore sur l’aspect perfide, mythomane et cleptomane de son compagnon, qui souffre également d’une double identité. Pourtant, Julie ne cède pas à la confrontation ou à la violence, quand bien même Anthony se réfugie dans une dépendance autodestructrice, car bien qu’il n’implose pas toujours, Julie en fait les frais, en observant les malaises de ce dernier et en s’enfilant une cape de culpabilité, dont elle gardera encore le souvenir amer.
Entre les personnages qui s’affirment et se déchirent, Julie s’engouffre dans un désespoir malsain, mais dont l’histoire d’amour reste sincère. Ce dilemme aurait déjà sonné la révolte, à l’image des genres musicaux, qui relativisent sur leur époque, sans oublier d’évoquer des attentats locaux, qui génèrent plus d’anxiété dans la vie de l’étudiante amoureuse et perdue. « The Souvenir - Part I » ouvre ainsi les portes et porte un regard sur le monde extérieur, que l’héroïne sera en droit d’obtenir, dès lors qu’elle réalise ce qui a compté dans son couple. Hogg ouvre son diaphragme sur la lumière après les ténèbres, que l’on retrouve dans un second acte, indissociable de cette mise en bouche bouleversante.