Le titre ? A première vue, pas très inspiré. L’affiche ? Dégueulasse. La bande-annonce ? Un calvaire… Franchement, il a vraiment fallu réunir toute l’admiration que j’ai pour Romain Gavras pour que je me risque à voir ce film. Et au final que je suis content d’avoir fait ce pari d’y être allé ! Oh oui ! Mais quelle pièce de cinéma vient de nous fournir là Romain Gavras… Je n’en reviens toujours pas. A dire vrai, si j’ai du mal à en revenir c’est aussi et surtout parce que je ne comprends toujours pas comment j’ai pu y entrer. Car l’air de rien c’est vraiment très exigeant comme film. Il suffit d’un rien pour s’en faire expulser tant les motifs de rejets peuvent être nombreux. Univers étrangement malaisant, personnages cohérents mais qui n’invitent pas à la sympathie, intrigue millimétrée mais sans envergure : il flotte dans ce film comme une sorte d’ambivalence inconfortable. C’est une forme très léchée pour exposer à la lumière quelque-chose de peu reluisant, de peu pertinent et – osons le dire – de peu intéressant. Et le paradoxe, c’est que c’est dans cette démarche là que se trouve tout le génie de ce « Le monde est à toi ». Ce film, c’est l’incarnation même du désenchantement. C’est du cynisme à l’état pur. Ç’en est presque une démarche de démiurge méprisant qui se moque du monde dans lequel on vit. Ce n’est pas que je n’ai jamais vu ça, c’est juste que je ne l’ai jamais vu décliné ainsi. Et non seulement je trouve ça unique, mais en plus je trouve qu’à la longue – le temps de comprendre ce qu’on est en train de voir – c’est juste incroyablement dévastateur. Parce qu’au fond, qu’est-ce que ce « Le monde est à toi » ? Film de malfrats de cité prêts à tout pour la gloire et l’or : la filiation est très vite posée. « Le monde est à toi », c’est un « Scarface » qu’on enracine en France. Et j’insiste bien sur la notion d’enracinement car du style à l’approche, c’est éminemment français. En France, on n’a pas ce mythe fondateur de l’immigré qui peut débarquer du jour au lendemain, avec rien, et qui peut faire son « self made man ». On n’a pas cette culture du cow-boy solitaire à qui on n’est jamais vraiment en droit d’imposer quelque-chose ; cette culture qui peut transformer un gangster en icône de liberté et en symbole de réussite à sa façon. Non, en France, on est dans un pays de terriens, avec son passé qui nous encombre, avec ses pesanteurs sociales qui maintiennent chaque à sa place. Et l’état d’esprit français dominant n’est pas du genre à magnifier ce qui a peu de noblesse, et ça se ressent terriblement dans son cinéma. « Le monde est à toi », c’est la peinture de ça. La peinture réalisée par un gars qui regarde ce monde avec un peu de recul et qui s’en marre, avec un cynisme et un nihilisme typiquement hexagonaux. Un loubard en France ne peut être magnifié. Sa terre, c’est du béton. Il ne connait que ça et ne connaitra que ça. La trajectoire du héros le traduit d’ailleurs très bien : de sa cité d’origine à son pavillon cubique en passant par le rêve cimenté des plages de Benidorm : le loubard français est un loubard hors-sol. C’est un loubard qui n’a pas de culture. Un loubard qui se nourrit de foot et de Youtube. Un loubard qui veut faire son icône classieuse à l’américaine à la « Scarface » mais qui est bien trop pathétique et immature pour ne pas provoquer la moquerie et le rire. Et le pire c’est qu’il faut un certain temps pour comprendre que ce film est en fait une gigantesque farce. Gavras s’efforce de filmer les choses avec grandeur un sujet qui n’est clairement pas à la hauteur. Les scènes s’enchaînent avec toujours ce même décalage entre d’un côté une mise en scène d’un remarquable niveau d’excellence formelle – taillée pour un « Scarface » de grande classe – et de l’autre des scènes consternantes de pathétisme. Et je trouve qu’il y a là-dedans quelque-chose qui relève de l’inconfort ; un inconfort qui apparait pourtant (avec le recul) indispensable pour que la démarche de Gavras devienne fonctionnelle. Au bout d’un moment, soit on est contraint de sortir du film (et j’ai vu des spectateurs dans la salle qui n’étaient clairement pas dedans et qui n’attendaient qu’une seule chose : la fin), soit on finit par lâcher ce qui est au final recherché : des petits rires nerveux ; petits rires qui, par accumulations, sont appelés à devenir de grandes esclaffes. Parce qu’en fin de compte, le film définit très vite sa ligne de conduite. Il faut qu’on y croie un peu pour que la moquerie soit plus belle. Et chez Gavras, la moquerie est belle quand elle a quelque-chose de tragiquement nihiliste. Ces gens sont sensés être des Tony Montana, mais ils ne sont en fait que des gosses ou des ploucs affublés de maillots de foot, chaînes en or et téléphones portables qui brillent. Ils sont des arlequins qui agitent du vent, qui parlent à vide, et qui n’aboutissent à rien. Et franchement, je tire mon chapeau à ce film parce que d’habitude je n’aime pas rire ainsi. Rire de cynisme. Rire par mépris pour les choses. Mais au fond, quand j’y repense, c’était effectivement là le moyen pour transmettre toute l’aigreur que Gavras a envers ce monde. Celui-ci est tellement triste qu’on a dépassé le stade des pleurs, de l’apitoiement et de la tragédie. On préfère se moquer. On se moque parce que tout cela est juste absurde, désenchanté et incroyablement stupide. Et plus le film avance et plus il en rajoute. L’envolée formelle ne fait qu’accompagner le jousqu’au-boutisme de chaque personnage dans ses travers. Et franchement, l’écriture de Gavras est quand même savoureuse car chacun est quand même une remarquable illustration de médiocrité humaine sans que pour autant on en vienne à les trouver totalement antipathiques. Ils sont juste tous médiocres à leur façon. Et à ce jeu là, Vincent Cassel nous sort encore une fois une prestation totalement hors-norme. Ce gars est un génie. Son Henry dans ce film, pour moi cela équivaut au Luis de Robert de Niro dans « Jackie Brown ». Et tout ça finit sur une merveilleuse note de cynisme :
une conclusion où la happy end se limite en un petit bac de béton en guise de piscine de la réussite. Voilà comment le Tony Montana du XXIe siècle conçoit son « the world is yours. » La réussite du middle class à gros bide et à mèche qui se prélasse dans son fragment de pavillon avec une gamine vénale et immature en guise de femme : voilà l’horizon bien triste de ce qu’est réellement le monde. Un monde où s’agiter ne sert à rien. Un monde où, comme le dit si bien Balavoine à la toute fin « la vie [n’] apprend rien. » On finit dans le même béton qu’au début, avec les mêmes personnes insignifiantes, mais on se contente malgré tout d’avoir obtenu ce qu’il y avait de mieux dans ce pire.
Alors OK, je conçois pertinemment que ce film laisse énormément de gens sur le carreau. Tous ceux qui étaient venus voir un vrai film glorifiant les petites frappes – un « Scarface » à la française – seront vexés par la moquerie et désappointé par le manque d’horizon fantasmé. Les amateurs de comédie acides quant à eux ne seront pas non plus assurés d’y trouver leur compte, tant l’atmosphère malaisante et désenchantée de cet univers peut leur peser. Mais c’est le prix à payer pour avoir accès à cette fenêtre assez unique de cinéma ; une sorte de « GTA bertrandbliesque » impossible à comparer à quoi que ce soit d’autre. Alors certes, j’ai conscience qu’en vous le vendant ainsi, ce n’est pas forcément le meilleur moyen de vous convaincre de vous y risquer. Mais bon, j’ose espérer que parmi les amateurs de cinéma que vous êtes sûrement, il y en a encore quelques-uns parmi qui sont encore capables de prendre des risques pour découvrir de nouvelles expériences de cinéma. Donc, c’est vous qui voyez. Your call. The world is yours… Bon après, ce n’est que mon point de vue. Donc si vous n’êtes pas d’accord et que vous voulez qu’on en discute, n’hésitez pas et venez me retrouver sur lhommegrenouille.over-blog.com. Parce que le débat, moi j’aime ça… ;-)