Wong Kar-Wai, admirateur du Rire de madame Lin, déclare à son sujet : "En 1953, le cinéaste japonais Ozu Yasujiro réalisait Le Voyage à Tokyo , et montrait l’extrême dignité d’un père. En 2016, un jeune réalisateur chinois semble répondre au maître en nous montrant la grandeur d’une mère chinoise dont la force mérite le plus profond respect."
Soutenu par l’ACID - l’Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion - Le Rire de Madame Lin a été présenté au Festival de Cannes en 2017.
Le Rire de madame Lin se penche sur le triste phénomène qu'on appelle les "Vieux sans nid". Cette expression désigne les personnes âgées sans enfants auprès d’eux, vivant seules, ou en couples isolés. On retient généralement trois types de situations : les veuves ou veufs sans enfants, les personnes âgées avec enfants qui ne vivent pas sous le même toit, et les personnes âgées restées seules parce que les enfants vivent ailleurs que dans le lieu d’origine. Cela touche principalement le bas de la pyramide sociale, soit les 900 millions de paysans de toute une Chine encore largement rurale.
La situation de la population chinoise est plus que préoccupante : selon le CNRS chinois et l'ONU, les plus de 65 ans représentent 10% de la population chinoise. Une part qui atteindra les 30% d'ici 2050.
60 % des seniors chinois sont des ruraux. Parmi eux, 1/5 vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Le taux de suicide chez les personnes âgées vivant en zone rurale est de 500 pour 100 000 habitants. Dans certains villages, une personne âgée sur trois met fin à ses jours.
Les frais médicaux sont par ailleurs hors de prix pour cette catégorie de la population : une visite médicale coûte en moyenne 1,3 fois le revenu annuel d'un retraité rural. La Chine ne dispose que de 25 places en institut pour 1000 seniors. Là encore, les places sont chères : 8000 yuans (961,98 euros), sachant que la pension mensuelle d’un retraité varie de 300 à 2000 yuans (36,07 à 240,50 euros).
En juillet 2013, la Chine a instauré "la protection des droits et des intérêts des personnes âgées". Cette loi exige que les enfants s’occupent des besoins "émotionnels" et physiques de leurs parents, à mesure qu’ils vieillissent.
La grand-mère du réalisateur Zhang Tao s'est pendue à l'âge de 96 ans, un jour après avoir appris que ses enfants voulaient la mettre dans un hospice : "Lors des cérémonies funèbres, je tenais la main froide de ma grand-mère. J’ai réalisé à cet instant que j’avais passé 30 ans à ses côtés. Elle m’avait pour ainsi dire élevé, et pourtant, je ne lui avais jamais manifesté la moindre affection. Pire encore, j’avais assisté, impuissant, à la violence de ses enfants, y compris mes parents. Je les ai vus nier sa liberté et son intégrité. J’ai été profondément choqué par le manque d’empathie de ma famille, de nos amis et voisins, comme si le suicide était chose normale, une fin heureuse, voire un soulagement."
Le réalisateur s'est inspiré de sa propre vie et a effectué des recherches auprès des familles rurales de sa région. Pour autant, il précise qu'il s'est écarté "radicalement du type d’écriture consistant à semer le récit de signes personnels cachés. De ce point de vue, le film est une fiction dans les règles de la fiction." Et ce, malgré la présence d'acteurs non professionnels : "Bresson appelait ses acteurs des « modèles », en référence à un contexte où tout dépend du travail de mise en scène. J’adhère à cette manière de voir : sur la base du centre du cadre, créer les personnages en éliminant toute trace et toute contrainte de « jeu »."
La situation de Mme Lin, délaissée par sa famille, n'est malheureusement pas isolée. Il s'agit d'un vrai problème qui touche l'ensemble de la Chine. Zhang Tao souhaite "représenter la dégradation des liens entre les générations, mais aussi montrer la vulnérabilité des paysans chinois exposés au chômage, à la paupérisation, aux crises économiques… La Chine est un des plus vieux pays ruraux du monde. Paysans et fermiers constituent la véritable armature de la nation chinoise. Ils sont la source essentielle de l’identité chinoise."
Le fameux rire de Madame Lin est la conséquence de troubles de la circulation sanguine au niveau du cerveau. Ce peut être la séquelle d’une embolie cérébrale, qui produit des mouvements incontrôlés. La grand-mère du réalisateur a également souffert de ce trouble qui provoquait le désespoir de son entourage.
Le boom économique de la Chine et son industrialisation ne se sont pas faits sans dommages collatéraux : en conflit avec le matérialisme et le consumérisme, la civilisation rurale a décliné. Or, d'après le réalisateur, "La Chine est un des plus vieux pays ruraux du monde. Paysans et fermiers constituent la véritable armature de la nation chinoise. Ils sont la source essentielle de l’identité chinoise." Chacun des membres de la famille de madame Lin représente ce déclin. Ils pâtissent de ce nouveau monde libéral et individualiste qu'ils ne comprennent pas.
Parmi ses différentes influences, le réalisateur cite tout d'abord l'opéra et les ballades chantées de la culture populaire chinoise (par exemple l’opéra local yu, originaire du Henan, avec des oeuvres comme Le Palanquin, Qin Xianglian, La générale Mu Guiying prend les armes), qui cristallisent l’essence de la civilisation rurale et exaltent les principes de la tradition populaire comme la bonté et la piété filiale.
Par ailleurs, il cite comme modèle les romans Un monde ordinaire de Lu Yao (1991) et Ville frontalière de Shen Congwen (1934), qui sont des oeuvres enracinées dans la terre chinoise.
En ce qui concerne le cinéma, ce sont des films comme Le Vieux puits de Wu Tianming (1986), Dans les montagnes sauvages de Yan Xueshu (1985), Femme, démon, humain de Huang Shuqin (1987) qui l'ont marqué. Tous illustrent la réalité des campagnes et le choc qui oppose le monde rural impuissant à la modernité urbaine.