Je ne savais pas, en entrant dans la salle de cinéma, si je devais m’attendre à voir une sorte de remake du « Plus beau métier du monde », film de Gérard Lauzier avec Gérard Depardieu qui doit dater d’une vingtaine d’année. Au vu de la bande annonce, on aurait pu le croire ! Mais Olivier Ayache-Vidal lorgne davantage vers « Entre les Murs » et sa description brute et sèche que vers la comédie un peu clichée de Lauzier. Il nous propose un long métrage très sympathique, qui oscille entre comédie et émotion, bien dosé, bien rythmé et qui passe très bien. Il réalise son film très proprement, en lui donnant très vite le tempo qui convient, en l’illustrant par une bande originale très éclectique mais très agréable et il prend grand soin de ne pas tomber dans la facilité. Sur un sujet pareil, c’est une gageure, car souvent on se dit que la France est un pays qui comporte à peu près 60 millions de ministre de l’Education Nationale ! Nous sommes tous allé à l’école et nous nous sentons donc tous habilité à donner un avis autorisé sur l’enseignement. Alors, malgré tous les efforts que le réalisateur-scénariste des « Grands Esprits » aura déployé pour éviter de tomber dans telle ou telle facilité, de céder à tel ou tel cliché, il est à peu près certain que son film sera soit aimé sans réserve, soit vilipendé. Personnellement, je l’ai trouvé très bien dans sa construction et dans son cheminement, jusqu’à sa toute fin, assez nuancée pour rester crédible. Franchement, le premier quart d’heure est quasiment jubilatoire : voir ce type, très antipathique, très imbu de son savoir et de ses certitudes se faire piéger assez finement par plus maline que lui, c’est un petit régal ! Ensuite, le parcours chaotique de François dans le collège Barbara se révèle intéressant dans son cheminement, même si on ne croit pas à tout, même si certains clichés ne sont pas évités, même si quelques rebondissements sont un peu attendus.
Désemparé, il tâtonne et se fait déborder, puis il tente la méthode hyper sévère avant de s’adoucir et de trouver le bon mélange.
C’est sans doute ça le message du film : enseigner c’est faire la chimie, trouver le mélange qui fonctionne devant telle classe, et qui devra être différent qu’une autre classe. D’ailleurs, c’est une des lacunes du scénario : Monsieur Foucault, tout agrégé qu’il est, ne peut pas se contenter que d’une classe, or on ne le voit jamais enseigner devant un autre public que celui de sa « classe principale », on ne prend donc pas la mesure sur « sur-mesure » que l’enseignant doit composer chaque année. Le scénario tente de traiter l’ensemble de la problématique en évoquant la dépression des enseignants, les lourdeurs bureaucratiques, le découragement, mais aussi les conflits des salles des profs. Quand j’étais collégienne, les salles des profs étaient strictement interdites aux élèves. Maintenant je sais pourquoi, pour qu’on ne les voie pas se fritter entre eux ! Comme je l’ai dit, on ne croit pas à tout : réussir à faire lire « Les Misérables » au collège, c’est un peu gros ! Qui a déjà lu « Les Misérables » sait que c’est difficile, c’est long, ça nécessite une base de connaissances historiques minimales, bref, en aucun cas ça se lit en une année scolaire de 4ème ! Mais bon, si on accepte de fermer les yeux sur ces quelques petites facilités (il fallait bien que le scénario choisissent une œuvre de la littérature française hyper connue, dont tout le monde connait la trame et les personnages, souvent grâce au petit et grand écran d’ailleurs…), le reste passe bien. Je ne sais pas si tout est crédible mais on a envie d’y croire et ce n’est déjà pas si mal. La meilleure idée des « Grands Esprits », c’est d’avoir offert le rôle de François Foucault à Denis Podalydes, qui est juste parfait, jamais caricatural, toujours dans la retenue et pourtant très drôle et très touchant, une fois passées les premières quinze minutes (et le périphérique). Autour de lui, les jeunes sont d’un naturel total, ils jouent leur rôle à peu de choses près, ils sont donc tout à fait crédibles et à leur aise. Reste quelques seconds rôles pas assez exploités, comme celui de la sœur de François incarnée par Léa Drucker. Trop anecdotique, elle ne prendra jamais sa place dans le scénario et son rôle frôle l’inutile. Et puis à part la ravissante Chloé, professeur d’Histoire-Géo pleine de bonnes intentions mais épuisée, les autres professeurs sont assez mal dessinés. Et celui du prof de math, dont on ne sait pas bien s’il a laissé tomber ou s’il y croit encore (surement un peu des deux), aurait peut-être mérité un peu plus d’écriture. On rit souvent, on sourit beaucoup, on est émus aussi devant « Les Grands Esprits » mais surtout, on se sent concernés par ce qu’on voit à l’écran. La grande force du film est de rendre très tangible, très accessible la difficulté des professeurs de REP (on ne dit plus ZEP, apparemment), loin des dogmes, des circulaires, des donneurs de leçons toutes faites qui n’ont pas vu une classe depuis des lustres. Rien que pour cette qualité là, rien que pour ce message-là, « les Grands Esprits » mérite le déplacement.