Faire un film sur Bécassine, héroïne créée par Jacqueline Rivière et dessinée par Emile Pinchon, dont les aventures firent le bonheur de générations d’enfants sous forme de BD durant la première moitié du siècle dernier, cela peut sembler à priori une initiative saugrenue et malvenue. Saugrenue parce que ce personnage de bonne à la fois brave et étourdie paraît terriblement daté. Malvenue parce que la naïve créature a acquis, depuis longue date, le don d’agacer ceux qui, parmi les Bretons, estiment qu’elle est « l’incarnation du mépris dont les Bretons ont souvent souffert » (James Eveillard et Ronan Dantec). Certains indépendantistes n’ont d’ailleurs pas manqué d’appeler au boycott du film !
En vérité, cette polémique n’a pas lieu d’être. Elle ne tient aucun compte du dépoussiérage qu’a accompli Bruno Podalydès en donnant ou en redonnant à l’héroïne une fraîcheur et une perspicacité qui non seulement ne devraient froisser aucun Breton mais devraient plutôt provoquer leur enthousiasme. La Bécassine du film n’a rien d’offensant pour qui que ce soit ; au contraire, elle procure un plaisir simple, bon enfant, mais sans rien de stupide, qui devrait réjouir tous les spectateurs.
Il faut dire que Bruno Podalydès a trouvé en Emeline Bayart l’actrice idéale pour incarner ce rôle. Dès qu’elle apparaît à l’écran, après quelques scènes introductives et très drôles qui exaltent la complicité de Bécassine enfant puis adolescente avec son oncle Corentin (Michel Vuillermoz), on est aussitôt captivé par le talent dont elle fait preuve. On ne pourrait rêver meilleure interprétation d’une héroïne en qui s’affirment paradoxalement la simplicité et la malice.
Partie sur les routes pour monter à la capitale y trouver un travail (et y voir la Tour Eiffel !), Bécassine en vérité ne va pas bien loin. C’est la marquise de Grand-Air (Karin Viard) et son homme de confiance Mr Proey-Minans (Denis Podalydès) qui, alors qu’ils viennent de se séparer de la nounou (Vimala Pons) chargée du soin de la petite Loulotte, un bébé, engagent à sa place Bécassine et la ramènent en leur château dont on découvre rapidement qu’il perd littéralement de son lustre. La marquise, en effet, est fort désargentée, même si elle peut encore se targuer d’avoir un peu de domesticité. Mais le film acquiert toute sa saveur lorsque, quelques années plus tard, surgit Mr Rastaquoueros (Bruno Podalydès), un marionnettiste qui charme son public au point de s’installer à demeure. On se demande à qui on a affaire : un enchanteur ou un escroc… Quelqu’un, en tout cas, qui apporte du rêve, de l’illusion et un semblant de liberté (thèmes qu’affectionnent le réalisateur).
Quant à Bécassine, elle, elle fait preuve de sagacité et d’inventivité au point de surprendre tout le monde. Car ce qui est remarquable, dans ce film, c’est qu’on a affaire à une Bécassine fort différente, en fin de compte, de son image classique de bonne naïve et quelque peu ridicule. Ce qui la caractérise, chez Bruno Podalydès, ce n’est certes pas la sottise, mais bien plutôt ce qu’on pourrait appeler l’esprit d’enfance ou, si l’on préfère, l’aptitude à l’émerveillement. De ce point de vue, on peut même la considérer comme un modèle que nous serions très avisés de prendre tous en exemple. Si, comme elle, nous étions capables de nous émerveiller des plus simples choses (ou de ce qui nous paraît tel), de l’eau qui coule d’un robinet ou une ampoule qui s’allume parce que nous avons appuyé sur un interrupteur, si nous cessions d’être blasés, ce ne serait pas mieux ? Il me semble bien que si ! Allons ! Allons ! Soyons tous un peu « Bécassine » et le monde s’en portera mieux !