Après Grigris présenté en 2013 au Festival de Cannes et de nombreux documentaires et fictions consacrés au conflit tchadien, Mahamat-Saleh Haroun, également ministre de la culture du Tchad, s'intéresse avec Une saison à Paris à la question des réfugiés et des demandeurs d'asile. Le metteur en scène voulait, avec ce film, questionner la mémoire de l’exil qui se fabrique en France et montrer des visages que l'on ne voit pas souvent dans le cinéma dominant. Il explique :
"J’ai repensé à ce fait divers, survenu à l’automne 2014 : un Tchadien demandeur d’asile s’est immolé par le feu à la Cour Nationale du droit d’asile, à Montreuil, parce que sa demande avait été rejetée. Il a été gravement brûlé mais il n’est pas mort. Souvent, on raconte l’histoire des refugiés quand ils traversent le désert ou la mer, c’est la partie spectaculaire de leur parcours ; mais une fois qu’ils sont ici, qu’ils font leur demande d’asile politique, ils finissent par s’intégrer, parce que le temps administratif est lent. Ils n’ont pas une tête de réfugié, ils me ressemblent. Et alors qu’ils ont été arrachés à leur terre natale, qu’ils ont réussi tant bien que mal à se faire une petite place ici, arrive la réponse de l’administration, et les voilà arrachés une seconde fois. C’est violent. La majorité d’entre eux décide de rester dans la clandestinité."
Le héros du film, Abbas, n’est pas tchadien. Mahamat-Saleh Haroun a voulu en faire un réfugié centrafricain pour des raisons d’actualité, puisqu'il s'agit d'un pays en difficulté où la violence est particulièrement présente et où la guerre civile fait rage. "Et c’est un pays très lié à la France par son histoire : pensez aux diamants de Bokassa, à l’opération Sangaris. Comme beaucoup de pays africains francophones, cette nation est un peu une invention, la France lui a donné un nom, des frontières, une monnaie, une langue... Comme le dit Etienne à Abbas, l’Afrique est une fiction. Une fiction qui existe, puisqu’elle a été fabriquée...", précise le réalisateur.
Contrairement aux réfugiés syriens par exemple, les réfugiés Centrafricains sont moins médiatisés. "Il y a 400 000 réfugiés centrafricains au Tchad, j’ai visité leurs camps, ils ont fui une violence atroce. Nul ne fuit son pays avec le sourire aux lèvres", explique Mahamat-Saleh Haroun.
Mahamat-Saleh Haroun avait découvert Sandrine Bonnaire dans les films de Maurice Pialat et a toujours rêvé de travaillé avec elle. Le metteur en scène confie : "Je crois que son sourire, qui est pour moi le plus beau sourire de France, m’accompagne depuis mon arrivée ici, en 1982. En plus, elle porte en elle une partie de l’histoire tchadienne, puisque qu’elle a joué dans La Captive du désert, de Raymond Depardon, plus ou moins inspiré de l’enlèvement de Françoise Claustre... Ensemble, on a beaucoup parlé de la famille de Carole, du passé de ses parents."
En amont du tournage, Mahamat-Saleh Haroun a fait lire à Eriq Ebouaney des récits de gens ayant vécu des situations similaires à celle de son personnage, comme "Manuel d’exil" du bosniaque Velibor Colic, une bande dessinée, "Petit manuel du parfait réfugié politique" de l’Iranien Mana Neyestani ou encore "Journal d’un réfugié politique" du Tchadien Ahmat Zéidane Bichara. "De quoi nourrir le personnage. Eriq est d’origine camerounaise, mais peut tout à fait passer pour un Centrafricain", note le metteur en scène.
Une saison en France dessine une topographie spéciale de Paris, avec des paysages industriels entre la ville et sa banlieue. Mahamat-Saleh Haroun voulait parler d'un Paris qu'on ne voit pas, et ne surtout pas jouer du contraste entre la beauté de la ville et la situation des réfugiés. Le cinéaste se rappelle : "J’ai cherché des endroits comme des refuges. Pendant les repérages, alors qu’on cherchait l’endroit où bâtir la cabane d’Etienne, on a trouvé de véritables homme des bois, des gens venus des pays de l’Est, qui s’étaient fait des maisons en pleine nature, en attendant que leur situation se régularise. Comme chez Abbas et Etienne, qui ont conscience de leur déchéance, il y a une volonté de ne pas se montrer, de se cacher dans un no man’s land géographique correspondant à leur no man’s land juridique..."
Compte tenu de l'épisode tragique de l’immolation, Mahamat-Saleh Haroun n'a pas pu tourner dans la vraie Cour nationale du droit d’asile. L'endroit a donc été reconstruit, de façon assez fidèle grâce au travail du chef décorateur Eric Barboza. "Les figurants sont de vrais demandeurs d’asile, ils nous ont été envoyés par des associations d’aide aux réfugiés. Il y a même un couple d’Alep, la femme voilée et son mari qui dit des prières. J’ai décidé de m’attarder sur les visages, parce que c’est là que loge la tragédie de chacun...", précise le réalisteur.
Au final, le personnage d'Abbas n’a pas fait de recours auprès du tribunal administratif et a renoncé à se battre. Mahamat-Saleh Haroun nous en dit plus à ce sujet : "Il est victime d’une sorte de fatigue de soi et du système. Il baisse les bras, et sa lettre finale est belle : "tant que nous continuerons à marcher, une étoile brillera pour nous". Cela me ramène à certaines croyances africaines : on dit que tout être humain possède son étoile, et que les étoiles filantes sont des vies qui s’achèvent. J’ai pensé à la fin des 400 coups : le récit se clôt sur un vide, une impasse pour Carole. C’est la fin du chemin. Une autre histoire peut alors commencer. Et je suis fier que le film se raconte sur le ton de la chronique, sans dramatisation des péripéties - le geste d’Etienne, par exemple, n’est en rien annoncé. Pas d’artifice, pas de construction narrative artificielle : je tiens à respecter l’intelligence du spectateur."