12 août 1945, dans la campagne hongroise : la guerre n’est pas tout à fait terminée et, quelques jours auparavant, les américains ont bombardé Nagasaki. En Hongrie, les allemands ont été chassés et, même si l’armée soviétique est bien présente dans le pays, le régime communiste n’y a pas encore été proclamé. Sous la chaleur estivale, un village se prépare à un mariage, celui du fils du secrétaire de mairie avec une jeune fille d’une famille paysanne, alors qu’au même moment, un train entre en gare. De ce train, dont s’échappe une épaisse fumée noire, vont descendre deux hommes vêtus de noir, un jeune homme, portant casquette, et un vieil homme à la barbe grise, portant chapeau. Qui sont ces hommes qui font descendre deux grosses malles du train et qui les font charger, moyennant finance, sur une charrette tirée par un cheval et qui va être conduite par un père et son fils en direction du village, les deux hommes suivant à pied ? Et cette prédominance du noir, dans un film par ailleurs en noir et blanc, n’est-elle pas annonciatrice de funestes présages ?
Très vite, un vent de panique souffle sur le village. Ces deux hommes, un père et son fils, sont des juifs que personne ne semblent connaître dans le village, mais, pour beaucoup, ce sont sans doute les émissaires de familles juives qui ont été spoliées et qui vont demander la restitution de leurs biens. Alors qu’en fait, on ne sait rien sur la raison de leur présence, chacun, alors, réagit selon les actes commis dans le passé par rapport aux biens des juifs du village qui ont été déportés ou qui se sont enfuis, selon, aussi, sa conscience ou … son absence de conscience. Les remarques fusent, allant de « Impossible de s’en débarrasser, ces gens là » et « ils se ressemblent, tous pareils » à « Il y a de la place pour eux ». Des dissensions apparaissent dans des couples, l’un voulant rendre la maison occupée, l’autre considérant que les papiers prouvent qu’elle leur appartient.
Ce retour vers le passé effectué par Ferenc Török n’est certainement pas un hasard. N’oublions pas que la Hongrie est actuellement gouvernée par Viktor Orbán, un conservateur nationaliste farouchement opposé à toute forme d’immigration, et il n’est pas interdit de voir plus qu’un clin d’œil du réalisateur vers la situation des syriens et des irakiens qui ont dû fuir leur pays lorsqu’il parle de celle des juifs et du comportement de nombre de ses compatriotes à leur égard, dans son pays, lors de la 2ème guerre mondiale.
Cette histoire, très ramassée dans le temps (l’action se déroule sur une poignée d’heures), est racontée dans un langage cinématographique d’une grande richesse : science des mouvements de caméra et des cadrages, précision et efficacité du montage, exceptionnelle beauté du noir et blanc, tout concourt à venir compléter la force du sujet pour faire de « Une juste route » un grand film.