Il y a deux personnages principaux dans le film : Eva et la ville de Madrid. Jonás Trueba filme en général toujours au même endroit, dans un espace limité situé dans les vieux quartiers populaires du centre de la ville. Le réalisateur explique :
"Dans ce film, les lieux sont davantage marqués par le scénario et les décisions du personnage. Eva décide de rester à Madrid, elle loge dans un appartement prêté dans le quartier du Rastro qui est un endroit très caractéristique de Madrid. Il se trouve juste à côté de là où j’habite et j’aime filmer les lieux que je connais. Il y a longtemps que j’avais envie de filmer la ville en été, et plus particulièrement, pendant la première quinzaine du mois d’août parce qu’elle coïncide avec les fêtes, très typiques de Madrid, qui se succèdent dans les trois quartiers les plus populaires que sont Lavapiés, le Rastro et la Latina. Le film est un dialogue entre Eva et la ville. J’aime l’idée que Eva la regarde comme une ville étrangère, comme si c’était la première fois qu’elle la voyait, avec les yeux d’une touriste. Les touristes sont généralement mal vus."
Jonás Trueba et son équipe étaient inquiets à l'idée de tourner pendant cette période de fêtes, mais les choses se sont finalement bien passées. "Quand vous tournez avec autant de gens autour, avec autant de choses qui se passent à la fois, la présence d’une caméra passe plus inaperçue. Les gens nous observaient un moment puis passaient à autre chose, ils nous acceptaient plus naturellement que si nous avions été dans la rue un jour banal. Les fêtes nous ont permis finalement de nous camoufler. Il y a parfois dans le film des regards caméras de passants mais ces regards me plaisent. Ils donnent au film une autre épaisseur, quelque chose qui se passe réellement. Les fêtes sont un arrière-plan un peu flou qui sert à mieux comprendre l’état d’âme de Eva. Elles ne sont pas importantes en elles-mêmes. Elles permettent à Eva de pouvoir se sentir seule et accompagnée à la fois", précise le cinéaste.
Eva a été conçue de telle sorte que le spectateur ait l’impression qu’elle n’existait pas avant le film : il fallait que ce soit un personnage évoluant dans le seul présent et pour lequel nous ne savons quasiment rien. "La grande majorité des films se construisent à partir de la backstory du personnage. Ici il est délibérément occulté afin que le personnage évolue seulement dans le présent. Eva est un personnage toujours à l’écoute des autres, et ceux-ci lui racontent leurs petits problèmes, leurs petites misères quotidiennes. Elle ne parle pratiquement jamais d’elle-même. Quand elle va vers Agos, au moment de leur rencontre sur le pont, c’est parce qu’elle sent qu’elle doit l’aider. Elle a ce côté « infirmière »", confie Jonás Trueba.
Le Rayon vert (1986) d'Eric Rohmer est la référence qui a accompagné Jonás Trueba tout au long de la conception d'Eva en août. Mais contrairement au célèbre réalisateur de la Nouvelle Vague, le metteur en scène espagnol n'a pas poussé la comédienne principale, Itsaso Arana, à l'improvisation. Il raconte :
"J’aime écrire les dialogues et j’ai l’habitude d’être précis avec les mots. Ce qui peut arriver, c’est que je les écrive un ou deux jours avant de tourner, parfois même le jour du tournage. Avec Itsaso, nous avons écrit la structure du film ensemble. Je lui avais raconté l’idée d’un film qui se passerait en été à Madrid mais je ne savais pas encore qu’il serait joué par une femme. Je lui alors proposé d’écrire le film ensemble. Elle ne connaissait pas Le Rayon vert et nous l’avons regardé tous les deux. Je lui ai proposé de dialoguer avec le film de Rohmer et de faire le film contraire. Le Rayon vert est l’histoire d’une femme qui souffre beaucoup parce qu’elle n’a personne avec qui partir en vacances. Et notre film, c’est une femme qui décide de rester dans sa ville. Tout le film de Rohmer est construit sur le hasard et le personnage est à la merci du film. Dans notre film, le hasard est important mais, en même temps, le personnage s’approprie le film."
Né à Madrid en 1981, Jonás Trueba réalise son premier long-métrage Todas las canciones hablan de mí en 2010 pour lequel il est nommé pour le Goya du meilleur jeune realisateur.
Suivront Los ilusos (2013) salué par la critique et le public après une tournée festivalière internationale, Los exiliados románticos (2015) Prix spécial du jury au festival de Malaga puis La reconquista (2016) présenté en sélection officielle au Festival de San Sébastián et lauréat du Prix Ojo Crítico 2016 décerné par la radio espagnole RNE.
Jonás est par ailleurs co-scénariste de Más pena que Gloria (2000) et Vete de mí (2005), tous deux réalisés par Víctor García León et de El baile de la Victoria (2009) réalisé par Fernando Trueba, nommé pour le Goya du meilleur scénario adapté.
Il est également l’auteur de Las illusiones (éditions Periférica) ainsi que de plusieurs écrits sur le cinéma.
Jonás jongle entre cinéma et enseignement. Il est membre depuis 2013 de l’équipe de Cine en Curso, un projet pédagogique autour du cinéma dans les écoles. Il réalise également depuis 2016 Quién lo impide, un projet d’approche cinématographique en plusieures parties, montré comme un « film en cours » destiné aux adolescents.
Eva en août (La virgen de augusto), est son cinquième long-métrage.