Au début des années 1990, Catherine Gund a perdu son meilleur ami du sida et s'est enfuie à Mexico pour y rester pendant des mois. Habituée à filmer des performances dans la rue, elle avait dans son sac une caméra Hi-8 et cherchait à se représenter elle et ses amis (les queer, les gens de couleur) dans toute leur beauté et leur sensibilité. La cinéaste se rappelle :
"J’ai suivi la même impulsion pour trouver et filmer Chavela. A 71 ans, elle était assez méconnue, également queer, oubliée et dénigrée. Mes nouveaux amis savaient qu’elle avait des problèmes d’alcoolisme, qu’elle avait récemment rompu avec quelqu’un, et qu’elle vivait des moments difficiles. La communauté lesbienne de Mexico à cette époque était assez petite et trouvait que Chavela n’était pas reconnue à sa juste valeur. Il y avait là cette immense icône qui semblait être relayée au second plan et sombrait dans l’oubli. Mais néanmoins, tous savaient qu’elle n’avait pas peur et ils l’admiraient pour cela. Elle était fidèle à elle-même et croyait en son pouvoir. C’était un miracle d’avoir eu cette interview. Elle nous a invité dans sa maison d’Ahuatepec. Elle n’avait jamais autant parlé avec des inconnus comme elle l’a fait pendant des heures avec nous. Elle a évoqué des choses personnelles, comme le fait de trouver l’amour et le perdre, de se battre pour être reconnue pour son talent, elle s’est livrée avec beaucoup d’émotion. Elle a parlé de la joie et de la souffrance d’être confrontée à des gens qui la reconnaissaient, et qui l’appelait soit « diva » soit « gouine ». Nous savions que c’était une opportunité de faire partager son histoire à une large audience. Mais nous ne savions pas que son histoire n’en était qu’à la moitié. Elle s’est prédite à elle-même sa propre trajectoire quand elle a commencé le film en disant : « Ne me demande pas où j’ai été. Demande- moi où je vais ». Comment aurions-nous pu savoir ?! Ces interviews sont le point d’ancrage du film Chavela."
Daresha Kyi, qui réalise le documentaire en compagnie de Catherine Gund, a toujours été été attirée par les histoires d’outsiders qui triomphent comme celle de Chavela Vargas. "Une latino qui porte des pantalons, qui fume des cigares, qui descend des verres de tequila et qui porte un pistolet tout en chantant des histoires d’amour à des femmes, tout cela dans un pays catholique des années 40... difficile d’être plus marginale (ou plus rebelle) que ça ! Avoir l’opportunité de raconter l’histoire de quelqu’un qui a vécu et dormi dans la rue, s’est perdue dans l’alcool puis a chanté à guichet fermé au Carnagie hall et est apparue dans un film avec Salma Hayek, a été la muse de Pedro Almodovar et reçu la décoration la plus prestigieuse d’Espagne - Comment aurais-je pu résister ?", explique la réalisatrice.
Pour contacter les personnes interviewées dans le documentaire, Catherine Gund et Daresha Kyi sont passées par leur représentant ou directement par email. La première raconte : "Tous étaient heureux de partager leurs souvenirs et leurs expériences avec Chavela. C’était évident qu’ils l’aimaient toujours, même ceux qui parfois l’ont détestée. Chavela est restée très présente dans le cœur et dans la vie de ceux qui l’ont connue. Une des personnes interviewées commence toujours sa journée en écoutant Chavela lire un poème de Federico Garcia Lorca, une autre a dédié un autel à son icône."
Le documentaire Chavela Vargas est constitué de trois types de séquences : les interviews de 1991 menées par Catherine Gund, les interviews récentes réalisées avec Daresha Kyi et les images d’archives accompagnées de photos. Gund développe :
"Les interviews tournées récemment auraient pu être très traditionnelles, mais elles ont été nourries de la chaleur de ces gens, nous accueillant dans le confort de leur maison, entourés de leurs livres, de leurs photos, de leurs plantes. C’est cela aussi qui fait écho à la mémoire de Chavela: l’authenticité. Quand je regarde la séquence tournée il y a 25 ans où j’avais 25 ans, j’aurais aimé savoir tout ce que je sais maintenant ! Mon producteur ne s’est jamais inquiété de la qualité amateur de mon travail puisque la magie et la sincérité de Chavela était là. Il n’existe pas d’autres interviews comme celle-ci, et nous n’allions pas gâcher cette chance. Nous étions jeunes, honnêtes et admiratifs. Et d’une certaine façon elle nous le renvoyait."
Entrer en contact avec tous ceux qui ont connu et aimé Chavela Vargas a été un long processus. Au début, Catherine Gund et Daresha Kyi se sont livrées à un travail intuitif pour trouver vers qui Vargas avait pu aller quand elle n’était pas connue. Elles se sont ensuite demandé quelles étaient les autres personnes qu’elle avait pu rencontrer lorsqu’elle a eu plus de notoriété. Les deux cinéastes ont commencé à Mexico avec Jesusa et Liliana, les propriétaires de El Habito, l’endroit où Gund avait filmé des performances de Chavela au début des années 1990. Elle se souvient :
"Nous avons retrouvé sa plus jeune amie, la sénatrice Patria Jimenez dans les rues de Cuernavaca à côté de la maison de Chavela. Et nous avons pu entrer en contact avec des personnalités comme Eugenie Leon, Miguel Bose, Martirio. Tout comme Chavela l’avait fait quand je l’ai rencontrée, ils nous ont tous invité chez eux. Pedro Almodovar a choisi d’être filmé dans son studio coloré et très théâtral. Nous étions embrassés par ceux qui embrassaient Chavela. Et ils nous ont toujours offert de la tequila, parfois dès le début, parfois alors nous étions en train de tourner, parfois lorsque nous coupions la caméra, toujours pour célébrer leur joie de se souvenir."