''Seul sur la plage la nuit'' est le 20 ème film de Hong Sang-soo. 20 film en 21 ans, le moins que l'on puisse dire, c'est que le réalisateur ne chôme pas. Il faut dire que l'oeuvre de Hong Sang-soo est indéniablement cohérente. Trop, diront certains qui l'accusent non sans raison de toujours faire le même film. Cette accusation s'explique par le caractère systématique des thèmes abordés et de la façon de les filmer. Le cinéma de ce réalisateur est fait de rencontres, d'amours déçues et de longues discussions, le plus souvent autour d'une table et d'un verre. Le tout filmé en longs plans fixes, parfois ponctué de zooms : Hong Sang-soo semble porter en horreur la technique du champs/ contre-champs. L'effet produit sur le spectateur ? Soyons franc, le visionnage d'un film de Hong Sang-soo sans déplaire, laisse souvent indifférent. D'abord à cause du contenu beaucoup trop théorique des discussions filmées. Ça parle, ça parle... pour nous donner des leçons de vie... On compare souvent le Coréen au français Eric Rohmer. La filiation est (malheureusement) évidente : même causerie interminable, même volonté de privilégier la parole à l'image, de privilégier ce qui est dit à ce qui est ressenti. Ensuite, il est compliqué de s'immerger dans les films de Hong Sang-soo à cause de la place de la caméra. Le réalisateur en refusant la plupart du temps le moindre champs/ contre-champs ou gros plan nous coupe des acteurs et de leur expressions (et de leurs émotions). Toutes ces critiques étant dites, il faut quand même dire que ''Seule sur la plage la nuit'' est sans doute un des meilleurs films de ce réalisateur.
Il est déjà difficile de rester de marbre devant l'histoire racontée cette fois-ci. Young-hee (Kim Min-hee, la ''Mademoiselle'' de Park Chan-wook) est une actice qui, à la suite de sa rupture avec un réalisateur coréen bien plus âgé qu'elle, part en Allemagne chez son amie Jee-young. Dans la seconde partie du film, Young-hee est de retour en Corée où elle retrouvera ses connaissances qui l'interrogeront sur son voyage. Le film repose tout entier sur ce personnage féminin. Et sur sa conception de l'amour. Refusant les simples amourettes, elle recherche ce qu'on pourrait qualifier d'amour absolu. C'est l'une des raisons de son voyage en Corée où elle va amèrement constater que les hommes sont tous les mêmes. Dans la sempiternelle scène de repas hongienne, une de ses amies lui demande comment sont les hommes à Hambourg. ''Ils ont de beaux corps'' rétorque Young-hee. Comme si, au fond, tous les hommes sont identiques. Sa déception est le moteur du film, ce qui l'a pousse à lâcher : ''Tous les hommes sont débiles'' ! Après ''Le jour d'après'', Hong Sang-soo continue à s'attaquer à la lâcheté des hommes et à leur caractère volage. Cette déception s'explique aussi par la peur que semble ressentir l'héroïne face à la solitude.
Oui, on retrouve les défauts habituels de ce cinéaste. Oui, on retrouve ces longs dialogues, parfois trop didactiques (désastreuse influence de Rohmer). Oui, on retrouve ces plans fixes qui bloquent l'émotion (le gros plan est la meilleure façon de susciter l'émotion du spectateur, voir Sergio Leone). Tout cela devrait normalement produire le même sentiment d' indifférence policée propre aux films de Hong Sang-soo. Et bien non. Pour la première fois chez Hong Sang-soo, on peut percevoir une douleur infinie chez cette femme. Cette douleur ne se manifeste pas bien entendu comme dans un mélo (à l'américaine ou non), c'est-à-dire par des crises de larmes, des explosions d'hystéries ou d'autres excès en tout genre. Excepté dans deux scènes (celle du repas où Young-hee hurle tout son ressentiment pour ses amis : ''Vous n'êtes pas dignes d'être aimés'' et la scène où elle retrouve, à la fin du film, le réalisateur), la douleur est rentrée, discrète, et pourtant bien présente. Le film n'est pas, comme cela peut-être dans d'autres œuvres de Hong Sang-soo, sur une seule tonalité. Cela permet de ressentir une émotion inhabituelle chez Hong Sang-soo. Une émotion qui s'installe peu à peu et qui continue à vivre après le visionnage du film.
Mais il est impossible de parler de ''Seule sur la plage la nuit'' sans évoquer son actrice. Ayant reçu le prestigeux Ours d'argent de la meilleure actrice (ce qui fait d'elle la seule actrice coréenne à avoir reçu ce prix), Kim Min-hee n'est pas portée par le film, mais le porte lui. Après ''Mademoiselle'', on peut continuer à découvrir sa très grande pallette de jeux. Vibrante et magnifique, elle obtient enfin dans un film de Hong Sang-soo un rôle à sa mesure (car elle était un peu derrière les personnages masculins dans ''Un jour avec un jour sans'' et ''Le jour d'après''). Comme certaines actrices, elle est capable d'illuminer l'écran avec trois fois rien. En même temps, c'est une actrice dont il émane une sorte de pureté et d'harmonie, à l'image de sa douce voix. Elle s'investit corps et âme dans son rôle. Rôle qui, on le sait, doit lui tenir à cœur puisque Kim Min-hee est en couple avec Hong Sang-soo. Histoire qui fait scandale en Corée car Hong Sang-soo, en plus d'être déjà marié, a 25 ans de plus que son actrice fétiche. En sachant ça, on ne peut s'empêcher sans cesse de faire des parallèles entre le film et la réalité. Et la tristesse de l'éventuelle séparation est cruellement illustrée dans le film. Mais c'est bien une déclaration d'amour que fait le réalisateur à son actrice. La froide rigidité de la mise en scène de Hong Sang-soo se réchauffe dès qu'il s'agit de filmer l'émotion sur le visage de Kim Min-hee. Il n'y a qu'à voir le plan qui ouvre la deuxième partie du film. Dans ce plan, le visage de Young-hee est filmé dans l'obscurité, en train de regarder un film au cinéma. Il suffit que les larmes lui montent aux yeux pour qu'à notre tour nous soyons émus. Mais le plus beau plan du film reste celui où Young-hee chantonne doucement une chanson d'amour. Et créer une forme de magie autour d'une situation toute banale est quelque chose de très cinématographique. En tout cas, prions pour que l'histoire entre Hong Sang-soo et Kim Min-hee ne brise pas la carrière de cette dernière.
En filmant le spleen de cette femme qui est (peut-être) celui de Kim Min-hee, Hong Sang-soo parvient, enfin, à aller droit au cœur du spectateur. Grâce à cette splendide Kim Min-hee, le film se teinte d'une tristesse rosée, qui fait de ''Seule sur la plage la nuit'' l'un des meilleurs films de son cinéaste.