Pour Ma fille, son premier film en tant que réalisatrice, la comédienne Naidra Ayadi (Polisse, Les Gazelles, Il a déjà tes yeux) adapte le roman de Bernard Clavel, Le Voyage du Père. Un ouvrage déjà transposé au cinéma en 1966 par Denys de La Patellière avec Fernandel dans le rôle principal.
Thierry Ardisson, qui produit le film, voulait depuis longtemps adapter "Le Voyage du père" de Bernard Clavel. Le célèbre animateur avait quitté à 20 ans sa province pour faire carrière à Paris et ne parlait que de réussite. Après une tentative de suicide, son père s'est rendu à Paris le retrouver dans une chambre sordide d’hôpital. Naidra Ayadi explique : "Thierry a gardé de cet instant un profond sentiment de honte. Il a d’abord tenté de développer un premier projet avec Daniel Auteuil dans le rôle du père. Le projet n’a pas abouti pour diverses raisons et il a alors imaginé transposer l’histoire dans une famille arabo-musulmane en en confiant le rôle principal et, pourquoi pas, la réalisation, à Roschdy Zem. Le contexte, pensait-il, rendait potentiellement plus forte la réaction du père visà-vis de la prostitution de son aînée."
Roschdy Zem, qui était intéressé par le rôle et n’avait pas fermé la porte à la réalisation, ne voulait pas se lancer dans l’écriture du scénario de Ma fille. De son côté, Naidra Ayadi venait de passer à la mise en scène au théâtre avec "Horace" et était en train d’écrire un premier sujet pour le cinéma. La production s’est alors rapprochée d'elle. "Bien sûr que j’avais envie d’écrire pour Roschdy Zem ! J’ai lu le roman, regardé l’adaptation qu’en avait fait Denys de La Patellière en 1966 et eu tout de suite envie de m’approprier le sujet. Le scénario achevé, les producteurs (Romain Rousseau, Maxime Delaunay, Thierry Ardisson) et Roschdy lui-même ont pensé que j’en avais tiré un traitement si personnel que je devais le tourner. « C’est la vision d’une femme », me disaient-ils. J’ai évidemment accepté. Raconter une histoire d’amour entre un père et ses filles m’était devenue nécessaire. C’est une histoire à la fois universelle et intime", se souvient la réalisatrice.
Naidra Ayadi a pris une liberté avec le livre en entraînant la cadette à Paris, à la suite du père, sur les traces de l’aînée introuvable. Dans le roman de Bernard Clavel, elle est encore petite et reste à attendre à la maison. La cinéaste précise : "J’en ai fait une adolescente à qui ce voyage permet d’entamer un dialogue avec l’homme qui l’a mise au monde ; tout comme il va permettre à ce dernier de rencontrer sa cadette et, de chercher à comprendre, grâce à elle, les raisons qui ont poussé son aînée à agir comme elle le fait. Je me reconnais beaucoup en Nedjma je crois. Je suis une optimiste, je crois au dialogue : il nous permet d’avancer quand le silence nous enferme. En racontant ce qu’il n’avait jamais dit sur son passé, Hakim transmet à Nedjma, la plus jeune, ce qu’il n’a pas su dire à Leïla, la plus âgée, lors de son départ. Et, le faisant, il n’est plus un père lambda, il devient véritablement le père des deux jeunes filles."
Naidra Ayadi connaissait le chef opérateur Guillaume Schiffman pour avoir travaillé avec lui comme comédienne sur La Taularde et Héroïnes, d’Audrey Estrougo. La cinéaste savait qu’il aimait accompagner les jeunes réalisateurs. "On s’est beaucoup parlé. Guillaume m’a vraiment accompagnée, ainsi que Léonard Vindry, son premier assistant, dans le film que je souhaitais réaliser. Quant à Roschdy, il m’a véritablement fait naître à la réalisation", se rappelle-t-elle.
Face à Roschdy Zem, Naidra Ayadi voulait une comédienne solaire que le public ne connaisse pas encore. Elle a alors choisi Natacha Krief, qui vient du théâtre et qui s’est imposée au terme d’un long casting. "J’ai tout de suite aimé sa fraîcheur et sa candeur, son intelligence et son empathie, même si, au départ, elle n’était pas tout à fait le personnage. Autant Nedjma est dynamique, autant Natacha est évanescente. Elle a dû faire un vrai travail – de diction notamment. Je tenais par exemple absolument à ce qu’elle s’appuie sur les consonnes plutôt que sur les voyelles parce que cela donne un autre port, je voulais qu’elle ait ses deux pieds bien au sol, qu’elle soit ancrée, qu’on la situe physiquement. Je trouvais cela plus intéressant que de travailler la psychologie du personnage. Natacha est une bosseuse, elle a fait une vraie composition", se souvient Ayadi.
Ma fille comporte énormément de scènes de rue de nuit. Le fait, pour Naidra Ayadi, de filmer la rue la nuit était une manière de raconter l’immigration à Paris : la pauvreté à Château rouge, Pigalle et Stalingrad, l’opulence du XVIe arrondissement. La réalisatrice précise : "Comme nous changions constamment de lieux, on devait être très mobiles. Guillaume Schiffman a été formidable : il a réussi à faire de très belles lumières avec très peu de matériel. Une lumière à la fois humble, simple et magnifique."
Roschdy Zem est arrivé très en amont sur Ma fille puisqu’il a même été question qu'il réalise le film. Le réalisateur/comédien confie ne pas garder un bon souvenir de Mauvaise foi, son premier long métrage à la mise en scène dans lequel il tenait également l’un des premiers rôles. "En cumulant les deux postes, j’ai le sentiment qu’il y en a toujours un qu’on sacrifie au détriment de l’autre et je n’avais pas envie de renouveler l’expérience", raconte Zem. Ce dernier a par ailleurs suivi toutes les étapes de l'écriture de Ma fille : "J’ai su très vite que Naidra saurait jongler entre l’intimité et la pudeur du personnage et j’en étais heureux parce que cela me ressemble. Il était d’ores et déjà entendu qu’Hakim, le père, ne serait pas un « blédard » ; tout simplement parce que je n’aurais pas su le jouer. On m’a souvent proposé ce style de composition et j’ai toujours refusé. À moins de l’envisager comme une performance, aucun acteur de ma génération ne sait faire ça."