Un film qui parle de poésie, donc une rareté dans le panorama culturel actuel, même en période de "printemps des poètes".
Le réalisateur donne la parole à quatorze poètes actuels (eh oui, les poètes ne sont pas tous "morts") : par ordre alphabétique, Benny Aguey-Zinsou, Maram Al Masri, Édith Azam, Stéphane Bataillon, Paul de Brancion, Emmanuel Comtet, Jacques Darras, Marc Delouze, Souleyman Diamanka, Mireille Fragier Caruso, Yvon Le Men, Charles Pennequin, Jean Portante, Lysianne Rakotoson. Tous nous indiquent leur parcours, leurs sources d’inspiration, leurs pratiques de la langue et de la poésie. Car bien que très minoritaire aujourd'hui (il se publie pourtant plusieurs milliers de livres de poésie chaque année en France, mais leur tirage ne dépasse que rarement 500 exemplaires), la poésie est plus vivace que jamais : elle se slame, elle se clame, elle se profère, elle se dit, elle se chante. On trouvera donc ici des témoignages de quelques poètes sur la naissance et la pratique de leur art : qu’est-ce que la poésie ? Quel est son rôle ? Comment l’écriture naît-elle, à travers de quelles influences ?
Il est certain que la poésie a quelque chose d’unique par rapport aux autres arts, aussi bien que par rapport au reste de la littérature. Le film nous fait voyager à travers les mots, les langues et les lieux (la ville ou la nature). Oui, les poètes transfigurent la langue, la libèrent de son sens univoque. Et tant pis si la poésie ne se vend pas, si aucun des auteurs du film n’est connu, hors d’un public restreint ; pourtant voir Charles Pennequin exploser ses mots dans la rue, Jacques Darras tenter de définir plus intellectuellement ce qu’est la poésie (mais il y a presque autant de définitions que de poètes), ou le jeune Benny Aguey-Zinsou relater son approche de cet art, entre autres témoignages, permet à la fois de comprendre les raisons de l’indifférence du grand public (les passants semblent peu prêter attention à Pennequin) et le retour de certains jeunes vers une invention langagière en lien avec la musique, afin de réveiller ce qui sommeille en nous. Ainsi, Beguy Aguey-Zinsou slame avec bonheur. Mon grand regret : une présence trop rare de la poésie féminine (quatre femmes contre dix hommes), qui est souvent plus en prise avec la réalité concrète ou sensitive. J’apprécie d’autant plus le rayonnement de Lysiane Rakotoson qui parle de la poésie comme d’un "éclat de beauté". Puis-je dire que, dans la morosité ambiante, on a plus que jamais besoin de cet éclat de beauté ? Et que le film nous y invite joliment ?