Attention mesdames et messieurs : "Seule la terre" est plus une romance qu’autre chose. Certes le monde agricole sert de cadre à l’histoire. Mieux : il tient un rôle prépondérant. D’ailleurs, en regardant le premier long métrage de Francis Lee, je me suis demandé s’il n’y avait pas quelque chose de personnel dans ce rapport avec ces terres battues par le vent, l’humidité et le froid. Il n’y a qu’à voir comment il montre ce paysage superbement désolé, offrant des points de vue magnifiques sans qu’aucune bâtisse voisine ne vienne gâcher la beauté du décor. Indéniablement, le cinéaste a mis tout son cœur dans tout ce qui compose la vie de ce lieu reculé : le clapotis de l’eau, les oiseaux qui piaffent
d’impatience sous un grand hangar abritant des graines de céréales fraîchement récoltées (tu penses ! une vraie mine d’or pour eux)
, le bruit du vent (suffisamment orchestré pour qu’il soit mélodieux), l’entrechoc des pierres… Et puis la façon qu’il a de montrer les rapports privilégiés avec les bêtes
(tiens ! mais j’y pense : il n’y a pas de chien…)
, que ce soit lors de la surveillance des gestations ou des agnelages, ou encore une prise de vue sur un genre de scarabée (un lucane cerf-volant me semble-t-il). Si vous n’avez jamais vu naître un agneau, allez-y ! C’est trop chou ! Si mignon que vous aussi aurez envie de prendre cette petite bête dans les bras. Eh bien oui, comme Francis Lee est resté attaché à ce berceau de verdure vallonné, il y a quelque chose de personnel : il suffit d’aller faire un tour dans les anecdotes de tournage pour s’apercevoir que le réalisateur a grandi sur ces terres, à proximité immédiate du lieu de tournage. Pour toucher le cœur du spectateur, Francis Lee a intégré sans détour une histoire d’amour. Bien sûr, en lisant le synopsis, vous saurez que cette romance n’est pas hétérosexuelle, ce qui peut rebuter les homophobes. En fait le caractère de cette relation n’a que peu d’importance (si ce n'est l'actualité), ce qui fait que j’inviterai presque les homophobes à aller voir ce film. Tout simplement parce que cette romance est sincère. Brute et sincère. J’accorde le fait que c’est assez cru, si cru que ça peut mettre mal à l’aise et qu’on se prend à espérer que ça ne va pas être comme ça tout le long du film. Bon je vous rassure, de ce côté-là, on n’arrive pas au niveau de la scène hot de "La vie d’Adèle", mais on n’en est pas loin. Cela dit, "Seule la terre" se décrit en deux parties, axées sur le personnage principal : la déchéance puis la rédemption. Au départ, je m’étais fourvoyé en pensant que Johnny, puisque c’est son nom (oh misère ! ce film est sorti le jour du décès de notre Johnny national !) collectionnait les aventures de façon tout à fait classique.
Je veux dire hétéro.
Il n’en est rien. Nous le retrouvons à travailler du matin au soir dans la ferme de ses parents, véritable tombeau de ses ambitions personnelles si toutefois il en avait. En découle un mal-être qu’il noie dans la bouteille au pub tous les soirs (ou presque), un comportement irrespectueux envers ses propres parents et des paroles tyranniques voire injurieuses envers… envers… ben vous verrez. Par la même occasion, vous verrez le côté rustre et peu avenant des exploitants isolés, ainsi que les plats faits avec les moyens du bord. Des plats simples mais si bons. Et puis les choses commencent à changer dès lors que Johnny se trouve en face de quelqu’un muni d’une autre carrure. Fini ces relations à sens unique, fini ces relations aux sentiments non partagés, au cours desquelles Johnny n’a l’air de faire ça que « pour l’hygiène » si je puis me permettre l'expression. Sauf que ça ne le soulage en rien. Son mal-être persiste. Jusqu’à ce qu’il soit confronté à quelque chose de nouveau. Ce quelque chose qui vous bouleverse jusqu’au plus profond de votre être. Ce quelque chose qui vous pousse irrémédiablement tant au niveau physique que mental vers quelqu’un. Ça se voit et c’est très bien mis en images. Un simple regard, un simple geste suffisent pour se comprendre. C’est ce qu’on appelle la symbiose, là où les mots paraissent bien maigres pour décrire ce qui nous anime. Certes on pourrait dire qu’il n'y a pas assez de dialogues, mais le jeu d’acteurs comble ce manque qui n’en est pas un. Les silences sont explicites, que ce soit entre Johnny et son nouvel amour, ou entre Johnny et ses parents. On pourrait regretter qu’il manque un petit « I love you » à la fin, mais la fin ô combien déchirante proposée par les larmes de Johnny remplace avantageusement ces mots si communs et souvent si mal utilisés. Josh O’Connor montre un bel étalage de ses talents en art dramatique. C’est par lui que le final émouvant à souhait arrive, tant on a l’impression qu’il donne tout ce qu’il a. Mais si cette émotion est présente, on la doit aussi à Ian Hart dans la peau de ce père diminué par les dures et interminables journées de labeur restées non sans conséquences, alors que jusque-là le regard envers son fils était sans arrêt empli d’une vive aversion, comme s’il le considérait comme un bon à rien. Je mettrai même ma mention spéciale sur lui pour avoir su si bien retranscrire les signes extérieurs d’une hémiplégie droite
, de la jambe au bras, en passant par la bouche tordue et les difficultés d’élocution
. "Seule la terre" serait alors un grand film ? Pas tout à fait : Francis Lee est tombé dans le piège des effets visant à appuyer certaines scènes. Ça commence dès le début du film par ce long plan sur la ferme, avec pour seul bruit le vent, ou cet autre long plan sur le téléphone mal raccroché, pour ne citer que ces maladresses qui finalement donnent des effets de longueur. Le plus embêtant est que la première partie aurait tendance à nous pousser vers la sortie tant c'est cru et limite violent. Mais au final, c’est un bien joli film, à mon goût pas suffisamment distribué en salles, mais c’est le prix à payer lorsqu’on passe par un producteur indépendant. Par contre, je mettrai un bémol sur l’absence d’interdiction par rapport au jeune public en dépit de l’authenticité de ce film. Evitez d’y amener des moins de 14 ans, voire moins de 16…