quand la beauté rencontre la guerre des sexes
"A mon âge..." montre des femmes algéroises , vieilles ou jeunes, maigres ou grasses, fertiles ou stériles, lestées ou pas de marmots, heureuses ou malheureuses, inquiètes ou reposées, comme jamais on ne les avait vues : dénudées dans un hammam, magnifiques d'abandon et d'intimité libre, partageant avec des amies ou des rivales, des ennemies ou des complices, un moment de délassement fragile, chèrement conquis sur la guerre civile qui fait rage (nous sommes dans la décennie 1990, qui a vu des centaines de milliers d'Algériens massacrés par l'utopie du salafisme armé). Le film évoque et figure trois choses, trois lignes narratives et plastiques : les effets au quotidien du combat militaire des islamistes algériens pour arracher le pouvoir étatique entre 1993 et 2000 ; la guerre des sexes (au napalm) qui opposent les femmes et les hommes algériens, qui ont le droit et la coutume pour eux ; la fragilité et la beauté du corps féminin. Sur ce dernier axe, le talent de Rayhana est tout simplement époustouflant, laisse pantois de munificence et d'éclat. Sans exotisme ni érotisme frelatées, jouant d'un naturalisme solaire et joyeux, la réalisatrice réussit à donner une lumière incroyable à la chair tendre, aux formes arrondies et à la peau satinée des femmes algéroises (et à travers elles, des femmes de toutes les époques et toutes les nations). Sous son oeil de verre, déposée dans la mémoire numérique de ses pixels, la beauté est partout, l'auteure réussit à rendre aussi beaux les petits seins en poire accrochés à un buste osseux, la cellulite accueillante comme un oreiller d'une quinquagénaire et les fesses rondes et fermes d'une accorte femme de trente ans. Je me suis demandé en sortant de la salle de cinéma si Auguste Renoir ou Pierre Bonnard avaient été ses maîtres secrets, jusqu'à ce qu'une âme charitable m'explique que la réalisatrice était passée par les Beaux-arts d'Alger, et qu'en exil en France, elle avait survécu économiquement en vendant ses sculptures. Comme Pialat ou Jean Renoir (qui commença, on le sait, par la céramique) , Rayhana possède un vécu d'artiste plasticien et ce passé transpire par toutes les pores de ce film. Je défie le plus hypocondriaque et le plus pessimiste des humains de voir ce film sans sortir revigoré, et porteur d'une énergie nouvelle. Non seulement le récit traite d'une intrigue dont le fond repose sur la solidarité, mais la manière généreuse et aimante de filmer les corps féminins, nous réconcilie avec nous-mêmes et nos imperfections, - quand bien même serions-nous un mâle ! Pour ceux qui ignorent le climat conservateur de l'Algérie actuelle, il faut souligner que la réalisatrice et ses actrices ont pris un risque important, il n'allait pas de soi de faire comprendre que ce dévoilement complet des chairs était nécessaire pour aller au coeur du mal algérien. Plus encore, une journaliste algérienne m'assure que l'équipe du film ne saurait avoir d'ennuis tant sa représentation de la nudité dans un hammam est prosaïque, naturelle, et n'a rien de provocant. L'usure des corps par la maternité ou le temps qui avale tout, la force irradiante de la maturité sexuelle, sous la caméra-pinceau de Rayhana, tout est sublimé, tout est restitué, donné à aimer, sans ce halo fantasmatique qui s'attache au Hammam depuis au moins le XVII° siècle en Occident. Mais trêve de bavardages et de pédantisme, il faut aller de toute urgence voir cette belle suite de séquences cinématographiques, cette mosaïque de tableaux si audacieux et si troublants, et clamer si votre réception est la même, la naissance d'une nouvelle auteure...