C’est en France, au début des années 90, que le réalisateur coréen Kim Ki-duk a vraiment découvert le cinéma. De retour dans son pays, il réalise son premier long métrage en 1996 et il voit sa notoriété s’établir petit à petit, au point de voir "L’île", son 4ème film, en sélection officielle à la Mostra de Venise de 2000. En 2003, "Printemps, été, automne, hiver… et printemps" l’installe définitivement parmi les grands réalisateurs de son époque. Malgré son séjour parisien, les films de Kim Ki-duk se retrouvent plus souvent sélectionnés à Berlin et (surtout !) à Venise qu’à Cannes, ce qui explique peut-être que les deux films qui ont suivi "Pieta", sorti en France en 2013, n’ont pas eu droit à une sortie dans notre pays. Présenté hors compétition à la Mostra de Venise 2016, "Entre deux rives" va permettre au public français de renouer avec l’œuvre de Kim Ki-duk.
Avec "Entre deux rives", c’est un changement d’horizon très marqué qu’effectue Kim Ki-duk, ce film étant, pour lui, le premier film ouvertement politique de sa carrière. Cela fait près de 70 ans que la Corée, son pays, est divisée en deux états dont les idéologies sont totalement antagonistes et qui ne cessent de se regarder en chien de faïence. Il est intéressant de se pencher sur le titre original de ce film, "Geumul". Un mot qui, en coréen, désigne un filet de pêche et désigne dans le film le filet dans lequel le héros, un homme ordinaire, un pêcheur, se fait prendre. Ce filet, c’est l’état, ou plutôt les états, des entités qui, ici, au nom d’une idéologie, anti-communisme d’un côté, anti-capitalisme de l’autre, en arrivent à sacrifier les individus. Et, comme le dit Chul-woo, le pêcheur, « Si un poisson est pris dans le filet, c’est fini ».
Même si on peut reprocher au film d’être parfois un peu trop démonstratif à force de trop vouloir convaincre, force est de reconnaître que la démarche du réalisateur est très courageuse. En effet, Kim Ki-duk ne cherche pas, loin de là, à évoquer une situation idyllique d’un côté et effroyable de l’autre. Non, pour lui qui aspire à une réunification pacifique de la Corée, les deux Corées actuelles sont aussi responsables l’une que l’autre d’une situation déplorable qu’il regrette amèrement. Dans "Entre deux rives", Kim Ki-duk dresse avec lucidité et beaucoup d’amertume un portait très sombre de cette situation au travers du parcours kafkaïen d’un homme ordinaire pris dans les filets d’un de ces états avant de l’être dans les filets de l’autre.