Souffrant d’une injuste méconnaissance, Fric-Frac est l’une de ces petites comédies sans prétention mais réalisées avec finesse et justesse du début à la fin.
Adapté de la pièce de théâtre éponyme à succès, mise en scène par Edouard Bourdet en 1936, où figuraient déjà Arletty et Michel Simon, ce long-métrage réunit de nouveau ce couple d’acteurs emblématiques des années 1930, mais cette fois sur grand écran et aux côtés d’un Fernandel connu du public depuis le début de la décennie. Ce projet cinématographique voit finalement le jour en 1939, confié entre les mains de Maurice Lehmann et Claude Autant-Lara. Néanmoins, d’après les dires d’Arletty, c’est surtout le second qui a assuré la mise en scène du film, Lehmann étant réduit au rôle de producteur. Il faut dire qu’Autant-Lara, contraint de collaborer avec un autre cinéaste à la suite de l’échec financier de son premier long-métrage, se démarque quand même en étant l’un des rares metteurs en scène à avoir su se faire respecter d’un Fernandel efficace et professionnel mais exigent et égocentrique.
Sur fond de malentendus, entretenu par un argot javanais très souvent incompréhensible, un couple de malfrats, Jo et Loulou, fait la rencontre d’un brave et candide employé de bijouterie, Marcel, qui tombe fou amoureux de la jeune Bonnie Parker à la française. Usant de ses charmes, Loulou s’amuse de l’innocent Marcel et lui extirpe des informations précieuses en vue de braquer la bijouterie où il travaille. De son côté, Marcel est tiraillé entre son amour pour Loulou et les pressions de la part de la fille de son patron, Renée, qui souhaite se marier avec lui. Jalouse et possessive, cette dernière insiste pour accompagner l’homme qu’elle convoite autour de ce qui doit être un innocent week-end entre amis.
Fric-Frac, modeste production tournée entre mars et avril 1939, n’en est pas moins une pétillante comédie plaisante à regarder. Autour des intrigues abracadabrantes d’un quatuor atypique, les personnages sont très attachants et on se prend facilement au jeu des malentendus, de la séduction, de la duperie et de la camaraderie. Chaque acteur est convaincant dans des interprétations réalistes, raisonnables et précises, d’Hélène Robert un peu timide et en retrait à Arletty, la véritable tête de groupe à la gouaille inimitable. On arrive même à se prendre d’affection pour Renée Mercandieu, la vieille fille du bijoutier dont l’amour est si inconditionnel qu’il en est touchant. Et même la jeune femme, en apparence innocente, parvient à duper le spectateur et ses compagnons de balade au cours d’une séquence mémorable en campagne, faisant croire à son ignorance du véritable rôle des deux cambrioleurs, avant de révéler sa lucidité et de dominer tout le monde à la fin du film. Même Loulou, interprétée par Arletty, et ce n’est pas un mince exploit. Cette dernière est une nouvelle fois à la hauteur de son personnage aguicheur et sagace, dominant son acolyte malfrat avec une imperturbable maitrise de soi même si elle a la trop fâcheuse tendance d’être l’illustration parfaite du « bandit à la petite semaine » et de son amateurisme. Mais ce défaut n’est rien à côté de la couardise de Jo, ami et camarade de Loulou, qui est plus adroit avec les techniques de cambriolage que sa collègue mais qui ne profite pas de son courage pour les mettre à profit. Interprété par Michel Simon en pleine forme, même ce malfrat parvient à toucher le public grâce à son caractère un peu bougon et sa sincérité qui se dévoile complètement à la fin du film. Quant à Fernandel, quelle surprise de le trouver dans le rôle d’un employé aussi naïf, mais son interprétation ne souffre d’aucun défaut et n’est jamais ridicule ou mal jouée. Précisons tout de même que derrière cette apparente complicité générale, Michel Simon et Fernandel se sont définitivement brouillés au cours du tournage, le second reprochant au premier ses improvisations pourtant convaincantes. Après Fric-Frac, les deux acteurs ne tourneront jamais plus ensemble, au grand désespoir d’Arletty, qui a malgré tout tenté de les réconcilier : « Dans le film, il y avait Michel Simon dont c'était les grands débuts. […] Fric-Frac fut la rencontre de ces deux « gueules », mais ça n'a pas gazé. Fernandel n'a plus jamais voulu tourner une seule fois avec Simon. Vous imaginez des acteurs comme ça qui ne se retrouvent pas, c'est grave malgré tout ».
Malgré cette dissension interne, l’humour, la fraicheur et l’absurdité de cette comédie sympathique en font un bijou indémodable, dont on peut abuser sans modération grâce à de succulentes interprétations réalistes et des personnages touchants.