C'est la productrice Catherine Dussart qui a fait lire "La Fiancée du roi", un roman de Michel Huriet publié en 1967, à Jeanne Labrune. Ce livre comportait une idée simple et forte : celle d’un croisement occasionnel puis rituel, d’un homme et d’une femme sur un chemin. La réalisatrice explique :
"Cette structure offrait beaucoup de possibilités. Catherine m’a proposé de faire l’adaptation. J’ai lu une seconde fois le roman et puis je l’ai refermé pour prendre de la distance et je ne l’ai jamais relu. Cette distance, ce « respectueux irrespect » du texte, est pour moi la base du travail d’adaptation. Il s’agit de travailler avec l’écho que le roman produit en soi-même. Le film devait être tourné au Japon mais cela n’a pas été possible. Je suis partie en repérage au Cambodge. J’ai parcouru le pays pendant quinze jours avec un régisseur et un chauffeur cambodgiens. Le pays et ses habitants m’ont touchée. Je suis retournée au Cambodge et j’y suis restée jusqu’à la fin du tournage."
Avant le tournage, Jeanne Labrune a visité les hauts lieux touristiques du Cambodge, les temples d’Angkor à proximité de Siem Reap et d’autres endroits moins connus. Cela a permis à la cinéaste de s'imprégner de la culture du pays même si elle a ensuite tourné dans des lieux beaucoup plus sauvages. Parmi ces derniers, il y a le village de Ta Om où se trouvait la vieille église du film, un bâtiment qui sert d’école, et tout près, une rivière et une communauté villageoise.
La plupart des religieuses du film sont interprétées par des femmes du village de Ta Om et les autres religieuses sont jouées par des femmes vivant au Cambodge, parlant khmer, mais qui ont des origines diverses.
Le Chemin était un film difficile à réaliser pour plusieurs raisons, comme la chaleur insupportable même pour les cambodgiens qui y sont habitués. "Les journaux cambodgiens disaient que les chauve-souris tombaient mortes des arbres par centaines ce qui est très rare. Les gens craignaient pour les cultures de riz. Pendant un mois et plus, la température s’est fixée aux alentours de 45-50 degrés dans la région de Siem Reap où nous tournions. Les journées de travail étaient très longues, les conditions de tournage ascétiques. Malgré cela, à cause de tout cela, il fallait rester serein pour que le film puisse se faire et qu’il porte en lui la trace de cette sérénité", se rappelle Jeanne Labrune.
Jeanne Labrune voulait que les acteurs du film parlent tantôt français, tantôt khmer, et qu’il y ait une fluidité entre les deux langues, "comme il y avait de la fluidité entre les acteurs et techniciens français, les khmers de mon équipe et moi-même". La cinéaste poursuit : "Certains ne parlaient ni le français ni l’anglais, j’étais obligée de faire des efforts pour me faire comprendre. Eux aussi. Cette attention aux visages, aux gestes, rapproche parfois plus que des discours."
Au sujet des lieux et des sons du Chemin, Jeanne Labrune explique : "Les paysages du Cambodge sont mystérieux, il me fallait trouver les axes, les lumières, les heures, qui permettaient de capter leur mystère. Les sons aussi y sont mystérieux, à cause de la sécheresse qui fait craquer les feuilles, des insectes qui ont parfois des chants métalliques, des mouches qu’un fruit attire en nombre, des insectes nocturnes qui s’agglomèrent autour de la moindre torche allumée. Il y avait le son des rivières courantes et celui des eaux stagnantes, les silences peuplés. Nous avons, avec Anja Lüdke (monteuse), Pierre Choukroun (monteur son) puis Eric Tisserand (mixeur), reconstitué tous ces climats sonores. Le son est la troisième dimension de l’image, c’est l’élément qui la sculpte. C’est un climat construit comme une musique très subtile dans laquelle le spectateur doit baigner, avec plaisir. Et si c’est réussi, personne n’a conscience du travail, le son paraît « naturel », bien qu’il ne le soit pas."