Après l'excellent "Newness" qui abordait le manque de communication entravant la quête de bonheur des jeunes couples modernes à cause (et en grande partie) des nouvelles technologies, Drake Doremus prolonge plus loin cette thématique en effectuant un bond dans le temps avec "Zoe".
Nous voilà donc plongés dans une société futuriste pas si éloignée de la nôtre et hélas extrêmement pessimiste sur le devenir de nos aptitudes à partager nos sentiments avec l'être aimé. En effet, parce qu'il a lui-même été incapable de se remettre d'une rupture amoureuse, un chercheur, Cole (Ewan McGregor), s'est donné pour but de combler la solitude de ses semblables grâce à la science. Avec la "Machine" capable de calculer un taux de comptabilité relationnelle entre deux personnes, des comprimés servant à recréer l'ivresse d'une première rencontre amoureuse et, surtout, des êtres synthétiques, similaires en tout point aux êtres humains, inventés afin de partager leurs vies sans les déceptions sentimentales qu'une relation de couple peut induire, l'avenir passe donc par la voie artificielle pour régler le désordre affectif de ceux qui le peuplent. Évidemment, la complexité des émotions humaines au coeur de "Zoe" va vite nous montrer les limites d'une telle solution de facilité...
Si vous êtes familiers des romances contrariées réalisées par Drake Doremus et qui ont fait sa bien trop discrète renommée, vous connaissez forcément cette faculté absolument sidérante que possède le metteur en scène pour capter la réalité d'une relation amoureuse à travers la mosaïque de gestes, de regards, de tendresse, de conversations futiles ou essentielles, de non-dits et de conflits qui la traverse. La bonne nouvelle, c'est que, sur point, vous serez probablement déjà en terrain conquis avec "Zoe" (si, toutefois, vous adhérez à sa vision bien entendu), le réalisateur faisant encore une fois preuve d'une maestria impressionnante pour saisir les contours de cet univers SF dans le but de les resserrer au plus près des états d'âme de ses personnages. Cette espèce d'ambiance évanescente permanente où la caméra paraît chercher la moindre manifestation physique des sentiments en scrutant les visages et les corps sera en plus magnifiée par la bande originale (la musique composée par Dan Romer et les morceaux choisis) pour atteindre ce qu'on pourra qualifier d'orgasmes émotionnels dans une unité parfaite de son et d'image lorsque le récit permettra la conjugaison réelle des sentiments entre deux protagonistes. En dehors de ces moments d'unisson, elle traduira sans peine la brume de la solitude et la confusion sentimentale dans lesquelles évoluent Cole et Zoe (Léa Seydoux).
La première partie nous introduit au fonctionnement de cette start-up de nouvelles technologies où son créateur masque la douleur de son divorce en se focalisant dans ses recherches pendant que sa collaboratrice Zoe fait tout pour tenter de lui exprimer ses sentiments grandissants à son égard. Si, formellement, on n'a pas grand chose à redire, la route scénaristique que prend "Zoe" vers un twist terriblement prévisible ne nous rassure guère car on se souvient de "Equals", autre tentative SF de Doremus et sans doute son long-métrage le plus faible à cause d'une utilisation trop prononcée des poncifs de la dystopie. Alors que l'on commence à croire que le film va être dans la même veine avec cette idée très naïve comme seul phare, "Zoe" nous surprend heureusement en en dévoilant la teneur au bout d'à peine une demi-heure pour repartir sur un changement de perspective plus passionnant.
Dès lors, les contradictions du personnage de Cole vont devenir la locomotive principale du film. Sa quête obsessionnelle de remplacer la vérité des sentiments par des "leurres" synthétiques de plus en plus réalistes va être mise à mal lorsque lui-même va commencer à éprouver des émotions dont il ne se pensait plus capable pour une de ses créations. Mais, devant la différence de ce nouvel être aimé pourtant si proche de lui, il ne pourra envisager d'embrasser ce bonheur qui l'appelle de toutes ses forces alors qu'il en avait fait le fer de lance de toute sa vie de chercheur. Après avoir laissé passer cette chance, il connaîtra la déchéance en usant paradoxalement de moyens encore plus artificiels pour tenter de retrouver la véracité des émotions ressenties l'espace de ces courts moments idylliques...
Couplé au point de vue de Zoe se perdant dans un schéma similaire (par miroir) mais où les perspectives d'existence la confrontent à un destin bien plus terrible vu les questionnements internes engendrés, le film a parfois tendance à s'égarer en cours de route dans des séquences pas forcément très pertinentes (les va-et-vient au "robot-bordel" pour mettre en exergue l'utilité primaire de ces êtres synthétiques et confronter le regard des modèles obsolètes aux nouveaux, thématique de SF pas très originale même si elle sera un outil scénaristique pas si bête à quelques rebondissements) ou à simplement effleurer des interrogations passionnantes (on aurait aimé plus s'attarder sur le côté sombre de ce monde où ses habitants en viennent à plonger dans des paradis artificiels d'émotions plutôt que de rechercher à les ressentir véritablement). Néanmoins, "Zoe" fait trop souvent mouche en posant un regard rempli de justesse sur la complexité des relations humaines dans l'exploitation de son univers SF pour que l'on puisse passer à côté des qualités de son discours.
Encore une fois, le manque de communication, cette incapacité croissante et inhérente à l'être humain de ne plus savoir comment s'ouvrir à l'autre, est mise en avant pour expliquer la solitude dans laquelle il se renferme un peu plus à chaque pas de son évolution. L'innocence des créations perfectionnées dans "Zoe" (s'incarnant d'ailleurs parfaitement dans Ash, un robot qui perd de plus en plus sa naïveté au regard de sa connaissance de l'Homme et d'un ressentiment amoureux) apparaît d'abord comme une réponse illusoire mais, finalement, leur faculté à se poser les bonnes questions sur ce qui nous régit véritablement pousse à la fois l'humain à réveiller l'expression de ses sentiments (à condition qu'il accepte toutefois d'y répondre et de se laisser gouverner par eux) et l'être synthétique à ne pas sombrer dans le désespoir de sa condition en trouvant l'être idéal avec lequel apprendre à ressentir enfin ce qui n'était auparavant qu'une illusion.
On n'en taira la teneur mais la fin extrêmement réussie et lumineuse en sera la plus belle représentation à l'écran.
"Zoe" n'est peut-être pas le point culminant de la filmographie de Drake Doremus mais, pour sa deuxième incursion en terrain SF après "Equals", il continue brillamment de disséquer le fonctionnement de nos sentiments avec son sens inné de leur retransmission cinématographique. Au delà des défauts de sa construction parfois trop simpliste et dissimulant mal la densité de ce qu'il cherche à délivrer, le film tape tellement souvent juste à travers une myriade de moments touchants et de merveilles de dialogues qu'il est bien difficile de ne pas succomber une nouvelle fois à la patte inaltérable de Drake Doremus. Un dernier mot pour le casting, Ewan McGregor et Léa Seydoux en tête mais aussi de très bons seconds rôles (notamment un Theo James étonnant et parfait en robot paumé), sans qui "Zoe" ne nous ferait sûrement pas autant vibrer.