A la mort de Franco, le Parlement espagnol à voté en 1977 une loi d’amnistie générale : les prisonniers politiques du franquisme étaient immédiatement libérés et, en contrepartie, leur geôliers, leur bourreaux ne seraient jamais inquiétés. Cette loi de 1977, qui voulait imposer l’oubli par la force dans l’esprit des espagnols, est aujourd’hui elle-même devenue une prison : elle oblige des victimes à vivre à deux pas de leur bourreaux, elle prive des vieilles dame de la dépouilles de leur père, de leur mère, de leur frère, elle empêche la société espagnole d’avancer, d’une certaine manière même, elle paralyse la vie politique espagnole. « Le Silence des Autres » (mauvais titre pour un très bon film) est un documentaire de 90 minutes, produit par Pedro Almodóvar et mis en scène par Almundena Carracedo et Robert Bahar, que j’ai eu la chance de voir hier en compagnie d’une fille et d’une petite fille d’exilée espagnole. Le sujet central de ce documentaire, n’est pas la Guerre Civile ni même le Franquisme, mais le combat actuel des victimes et des descendants de victimes pour briser cette loi de 1977 et permettre enfin, avant qu’il ne soit trop tard, que Justice soit faite. Dans sa forme, le documentaire est bien calibré, pas trop long et même s’il est parsemé de scènes très fortes, voire carrément bouleversantes, il reste tout à fait accessible au plus grand nombre. Nul besoin d’être très au fait de l’Histoire de l’Espagne pour toucher du doigt les enjeux du combat de ces hommes et de ces femmes. Ce combat qui est le leur est le même que dans toutes les Dictatures échues, c’est un combat pour la Justice, pour la Dignité, pour l’Histoire, des valeurs ô combien universelles. Le documentaire choisi deux axes : l’axe chronologique et l’axe thématique. Chronologiquement, après une courte évocation historique, le combat commence… en Argentine. La Justice espagnole, muselée par la loi de 1977, ne peut entreprendre des démarches contre les franquistes encore vivants. Alors, au nom de l’Universalité des Droits de l’Homme et des crimes contre l’Humanité, c’est à 10 000 km de Madrid que tout démarre, dans un pays, l’Argentine, qui sait douloureusement ce qu’est une dictature militaire. Une juge argentine, une petit bout de femme opiniâtre et volontaire, lance une procédure avec au départ 2 plaignants. La tache d’huile d’étend en Espagne, où les victimes et leur héritiers s’organisent, militent, font du lobbying, ameutent la presse et une opinion publique quasi hostile. C’est à croire que cette loi de l’Oubli à bien fonctionné, puisque la jeunesse espagnole ne sait rien et que les autres ne veulent plus en parler. Eternel combat que celui de la Mémoire, entre les partisans du franquisme encore très actifs (et qui ont un salut qui ressemble beaucoup trop au salut nazi pour que cela soit interprété autrement), un partie de la droite espagnole qui refuse tout, même de débaptiser les noms de rues d’assassins et l’immense majorité d’un peuple espagnol qui regarde ailleurs, leur combat n’en est que plus héroïque. Cette course contre la montre est incarnée par le premier personnage qui apparait dans le film : une très vieille dame qui veut récupérer les restes de sa maman, enterré dans une fosse commune sur laquelle on a construit une voie rapide. Cette veille dame, qui finira par succomber, va transmettre son combat à sa fille : la course contre la montre devient un relais. Elles sont âgées, ces victimes, et le combat qui à commencé en 2010 dure toujours. L’instruction est toujours en cours, le nombre des plaignants s’accroit et le documentaire le montre très bien : ce sera long mais ce qui est entamé ne pourra plus être stoppé. Le second axe du documentaire est plutôt thématique et il donne la parole à des victimes différentes. Il y a les veilles dames qui veulent récupérer les dépouilles de leurs parents, et celles qui ne savent même pas où elles se trouvent, il y a ceux et celles qui ont été torturé dans leur chair par des policiers qui vivent aujourd’hui à deux rues de chez eux, et il y a celles à qui ont a volé leur bébé (un grand classique des Dictature du XXème siècle). Si les dictatures d’Amérique Latine ont produits des centaines de milliers de victimes en quelques années seulement, alors imaginez combien de victimes pour une dictature qui a duré 40 ans, au sein du continent européen, à quelques kilomètres de la France ? Une scène restera à mes yeux la plus forte du documentaire, c’est la scène d’ouverture de la fosse commune de la fin du film. Les corps sont là, pêle-mêle, il ne reste que les squelettes et… au milieu des os, l’éclat métallique de la balle qui les a tués. Quand bien même il ne resterait que de la poussière, la balle serait toujours là : la balle, c’est le Franquisme Espagnol. Je termine cette critique avec un bémol, un gros bémol : où est l’Eglise Catholique dans ce réquisitoire ? Nulle part ! Quand on sait que c’est elle, la base fondatrice du Franquisme, que c’est elle, la grande gagnante de la Dictature, que c’est elle qui a guidé (et absous) la main des bourreaux, des tortionnaires, des médecins voleurs d’enfants, où est-elle ? Cette Eglise Espagnole est-elle encore intouchable aujourd’hui ? Si l’Espagne veut faire son devoir de mémoire, elle devra faire aussi le procès de l’Eglise Catholique : y est-elle prête ? Visiblement pas…