Il a récemment décortiqué la lâcheté humaine dans son « Snow Therapy », le suédois Ruben Östlund revient en force et soumet une nouvelle œuvre où le malaise domine le spectateur. Il ne faudra pas chercher plus loin que les premières séquences afin de confirmer le point d’ancrage, se situant tout juste entre la satire et politiquement incorrect. La charnière de la société moderne actuelle ne repose que sur des valeurs de solidarité et d’altruisme, chose qui manque bien évidemment à une certaine classe sociale, qui fait l’objet d’un débat et d’un procès très spectaculaires. La mise à mort de l’éthique est alors au centre de la problématique, divisant davantage afin de mieux propager la réflexion qui s’en dégage.
Conservateur de musée et bourgeois jusqu’à la plus discrète cellule de sa matière grise, Christian (Claes Bang) devient malheureusement une victime de pickpockets et verra le reste de sa vie remis en cause dans une quête existentielle. Parallèlement, il tente de promouvoir une nouvelle exposition qui suscite autant de bienveillance que d’hypocrisie de sa part. Le tableau, le voici. L’œuvre exposé, le voilà. Il s’agit de ce personnage qui oscille entre la décadence et la rédemption, sans jamais atteindre une porte de sortie définitive. Il entre dans un vice qu’il ne contrôle pas, basé sur des préjugés, mais surtout sur un égoïsme propre à la passivité de la bourgeoisie face à « l’insignifiant ». En perpétuelle comparaison avec son prochain, le fossé entre lui et les classes inférieures
Le cadre et la composition s’efforcent d’induire une passivité, propre au comportement humain de nos jours. Les plans fixes et le fond sonore s’arrangent toujours pour rappeler au spectateur qu’il doit franchir la barrière de l’ignorance. L’hémorragie est autour de lui et se propage aussi bien au lieu de travail qu’à son domicile. Or, la peur est ce qui freine toute motivation et tout acte de générosité. La détresse, quant à elle, n’est que superficiel et ne permet pas de satisfaire entièrement la concession que peu de citoyens possèdent, à savoir la solidarité. La scène où se heurte l’instinct primitif à la haute société, portée par un Terry Notary titanesque, résume tout ce en quoi le film défend durement, la responsabilité sociale.
La journaliste Anne (Elizabeth Moss), comme de nombreux personnages secondaires, illustrent parfaitement le phare ou guide spirituel dans la vie de Christian. Le montage peut perturber et donc soulever des contradictions qui se révèlent notamment être de l’hypocrisie pure. Les scènes s’étirent afin de nous plonger dans un malaise permanent, tout en gardant un plan fixe qui fait office de portrait, fresque ou miroir de vérité. Difficile à encaisser par moment, l’humour admet alors une place tout à fait primordiale entre deux vacarmes d’une intensité grimaçante. Le quiproquo n’est désormais qu’un motif qui rabaisse de plus en plus l’anti-héros dans une culpabilité qu’il apprendra à accepter. De ce fait, nous constatons que nous pouvons rire de tout et de l’art pour commencer. L’art moderne ici représente un patrimoine en devenir. Mais quels souvenirs, quelles images doit-elle véhiculer afin d’exposer toute la culture aux yeux du monde ? La négligence, tout comme le comportement d’insouciance est un fléau qui gagne de plus en plus de terrain dans une intrigue à la fois mal évaluée pour son discours qui prône une justice qui n’en est pas toujours une.
« The Square » symbolise bien plus que l’œuvre d’art qu’il est censé illustrer, tant dans le fond que dans la forme. On ne limite pas les actes de solidarité et d’altruisme à un simple carré de quatre mètres sur quatre, on tend à élargir l’étude à la vie en général. Le Square dont il est question dans le film est porté par chacun d’entre nous. Certains la limitent à leur famille ou à leurs amis proches, alors que d’autres s’ouvrent plus aisément aux étrangers, avec une initiative propre à l’acte recherché pendant tout le récit. Toute l’œuvre nous invite à lever la tête, à ouvrir les yeux, les oreilles et à ouvrir son cœur, avant que ce dernier ne se referme sur notre condition de vie, encore plus médiocre qu’auparavant. On constatera que la réparation est toujours permise, mais sera-t-elle reçue dans le meilleur état d’esprit possible ? On en ressort donc secoué et malmené pendant ces presque deux heures et trente minutes de séquences qui enchaînent les méandres de l’humanité, en dépit de son habilité à reconnaître ses torts.