Je ne le dirai jamais assez : rien ne me choque dans l’Art. J’apprécie être bousculé, être bouche bée, être révolté, être déçu. L’Art ne me choquera jamais. Cela ne m’empêchera pas de rejeter certaines oeuvres. Par exemple ces concrétions de gravier. Ce que je trouve « nul » ne l’est pas pour un autre et inversement. Après tout, je pourrais trouver audacieux cette exposition de concrétion de gravier. Mais avant tout l’Art est une question de coeur. Ca touche ou ne touche pas. Ca ne s‘explique pas toujours, c'est comme un coup de foudre. Et pourquoi expliquer, pourquoi argumenter. « Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas » Le clip de la petite fille est audacieux. Il est génial. La performance de l’Homme Singe, Oleg, (Terry Notary, magistral), est aussi géniale. Un art en mouvement, interactif. A travers cette prestation impressionnante, limite insupportable et ce clip, « The square » nous interroge sur notre propre humanité. Ou plus précisément à partir de quel seuil notre propre humanité s’exprimerait ? A partir de quel seuil se manifesterait-elle ? A un moment donné il faut bien réagir. Qu’est-ce qui permet d’agir ? Ou plus exactement, qu’est-ce qui empêche d’agir ? D’agir plus tôt ? La peur. L’égoïsme. Sans aucun doute. On ne peut rester indifférent à cette exposition en mouvement. Le réalisateur invite le spectateur au dîner. J’étais observateur spectateur, visiteur, interrogateur. Je n’étais pas le seul. Les convives aussi étaient dans un premier temps observateur, spectateur, visiteur. Tant que Julian (Dominic West) était pris à parti, nous sommes tous observateurs, spectateurs, visiteurs. On peut même penser que Julian était intégré à cet art en mouvement. Mais très vite, on en perçoit le malaise. Pourtant personne ne réagit. Si on agit, c’est comme se permettre de toucher un tableau, c’est inimaginable ! Quand Julian décide de fuir, Christian (Claes Bang) applaudit comme pour signifier la fin de la prestation. Julian ne revient pas. Il est comme vexé, voire ridiculisé d’être la tête de turc d’une exposition au milieu de laquelle il semble avoir été la cible, lui, l’invité, l’étranger ; d’avoir nourri les rires des convives. Observateur, spectateur, visiteur signifie que l’on est à distance. On peut être touché mais on reste à distance. Or Oleg se moque des applaudissements et poursuit sa charge. Christian laisse faire comme soumis. Lui et les convives. Seul Oleg est maître de l’exposition. Lui seul décidera d’y mettre fin. Le malaise est réel. La distance n’est plus. Julian n’est plus, tout le monde se sent soudain concerné. L’oeuvre nous touche physiquement. Elle nous agresse physiquement. La peur se fait jour, elle dégage une odeur et Oleg la ressent. Plus un convive a peur, plus Oleg se montrera menaçant. Qui osera mettre fin à cette exposition ? Qui aura le courage de repousser ce grand singe ? La réaction finira par se manifester. Un individu enfin courageux suivi d’autres se rueront sur Oleg. Cet Art radical n’a rien de choquant, c’est la réaction des convives qui est choquante. Réaction tardive, violente, bestiale qui est choquante. L’Homme est choquant. Il en est de même du clip de cette toute petite fille, en pleurs, déguenillée, serrant une peluche dans ses bras, perdue au milieu de l’indifférence des passants. Elle explose soudainement. Corps déchiqueté. Le clip n’est en rien choquant. Cette petite fille qui explose n’est pas choquant c’est le manque d’humanité qui est choquant, c’est le manque d’humanité qui explose, pas la petite fille. « The Square » nous interroge aussi sur la peur de l’autre. Cette peur multiple à plusieurs facettes nous empêche de réagir, d’avoir confiance en l’autre et en nous-mêmes, nous forge des préjugés. Christian est concerné dans son quotidien. Ruben Ostlund choisit le spectre du musée, de l’art moderne pour analyser la part d’humanité qui a dans l’Homme ou ce qu’il en reste. L’idée de l’Art moderne pour passer son message est originale. Il n’y a rien de choquant dans l’Art. L’Art ne fait que traduire les actions ou inactions de l’Homme. C’est lui qui est choquant. Tant qu’à faire de s’interroger, je m’interroge sur la présence d'Elisabeth Moss (Anne). Je ne vois pas le petit plus de sa présence dans ce film. A part sa notoriété qui peut aider le film a être vu par grand nombre de spectateurs. Comme je m’interroge aussi de la présence de ce chimpanzé dans son appartement. Quand je dis que l’Art interroge sans cesse ! Plus que jamais « The Square » a rempli sa mission. A voir en V.O…