L'art, et plus précisément le milieu de l'art, semble être insensible aux changements de la société. Toujours à son avant-garde, soucieux d'être tendance à la fois pour ses propres intérêts commerciaux que pour mieux en sortir et surprendre, choquer dans un monde de plus en plus habitué à tout, il est un conglomérat de repères sociaux, une sorte de réseau social derrière tous les autres.
C'est presque par accident qu'Östlund produit de parallèle en même temps qu'une œuvre dans le même goût que les créations d'art moderne contenues par le musée qui est au centre de l'histoire. Sa manière de se concentrer sur les moments significatifs, sans entredeux ni transitions, amène directement à notre esprit tous les aspects les plus philosophiques d'un quotidien occidental plus que jamais éloigné du spirituel.
En conséquence, les personnages recherchent tous l'altruisme, souhaitant sans vraiment le savoir un réseau humain qui se passerait du virtuel. Inspirés par The Square, œuvre créant une petite zone où cet altruisme devient obligatoire, les personnages mettent en "place" de quoi laisser filtrer l'entraide dans le monde réel. En somme, de quoi faire entrer The Square dans leur existence. L'humain en eux réapprend à tendre la main et échoue avec les gestes maladroits et attendrissants d'un enfant, comme rééduqué moralement par Östlund.
Afin de provoquer l'effet escompté, l'art doit ainsi brosser son public dans le sens du poil : ici, ça veut dire passer par YouTube, faire le buzz. Mais d'un autre côté, la responsabilité morale de l'art le pousse à brusquer son audience. "Combien d'inhumanité faudra-t-il pour accéder à votre humanité ?" La publicité fictive lancée nonchalamment dans l'histoire fait frissonner car elle est vraie, cependant on réalise qu'on ne peut la percevoir comme telle qu'à travers l'art entier : que ce soit grâce au film en lui-même ou grâce aux créations du musée, des valeurs nous parlent soudain comme les médias ne nous parlent jamais, et toutes les rengaines dont nos écrans sont saturés prennent enfin tout leur poids.
Les acteurs sont débridés, dérangeants, grandioses, transmettant à la perfection le malaise que leurs personnages éprouvent en appliquant leurs propres recommandations. Ils sont risibles parce qu'ils ne concordent pas avec le reste de la société, alors nous, spectateur, les pointons du doigt. Pourtant ne sont-ils pas les seuls à appliquer à fond les conseils sempiternels avec lesquels on est presque tous d'accord depuis longtemps, sans oser s'en approcher par peur de perdre nos privilèges, qui promettent un monde plus juste, plus humain ?
The Square transcende toutes les propriétés de l'œuvre dans l'œuvre. Östlund arrive à faire marcher contenu et contenant ensemble et met en contact de manière remarquable l'art et le tout-venant pour nous faire réfléchir bien mieux qu'il ne fait réfléchir ses foules virtuelles de bobos.
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