Pour le deuxième long métrage consacré à Shaun le mouton, les auteurs souhaitaient emmener le personnage dans des espaces encore inconnus et se montrer plus audacieux et plus ambitieux, en signant un film de science-fiction spectaculaire ! "C’était notre objectif", signale le co-réalisateur Will Becher, directeur de l’animation de Cro Man, qui fait ici ses débuts de metteur en scène. "On a voulu donner le sentiment qu’il s’agissait d’une forme de space-opéra foisonnant et ouvrir les horizons du monde de Shaun d’une manière inédite. Ça rappelle vraiment les films de science-fiction de Steven Spielberg."
Le projet de La ferme contre-attaque remonte à un peu moins de dix ans. "Quand je suis arrivé chez Aardman, j’avais évoqué la possibilité de faire un film de science-fiction", raconte le producteur Paul Kewley. Il faudra pourtant attendre 2016 pour que Richard Starzak, superviseur de la série Shaun, ait l’idée d’une suite au premier film : "Au départ, c’est Richard qui estimait qu’on devrait raconter une histoire d’extraterrestres", reprend Kewley. "Je me suis très vite engagé dans l’aventure. On adorait l’idée qu’un alien débarque dans le petit monde de Shaun et que l’histoire se déroule sur Terre."
Pour le chef-opérateur Charles Copping, ce nouveau projet représentait d’abord la possibilité de tourner l’aventure la plus ambitieuse à ce jour du petit mouton : "Les décors étaient gigantesques et extraordinaires", s’enthousiasme-t-il en évoquant les constructions du chef-décorateur Matt Perry. "Le repaire secret de l’Agent Rouge est digne de James Bond ! Je me sens beaucoup d’affinités avec Shaun", sourit Copping, "parce qu’il y a 25 ans, j’ai commencé chez Aardman comme coursier sur Wallace & Gromit : Rasé de près. C’étaient les débuts de Shaun – et c’étaient mes débuts aussi, si bien que nous avons toujours eu des parcours parallèles. Tout comme Shaun, je suis passé de la télévision au cinéma. On a grandi ensemble."
La ferme contre-attaque est à la fois un hommage aux grands genres cinématographiques, tout en réinventant certains codes à travers le prisme de Shaun. "On a étudié les classiques de la science-fiction pendant longtemps", note le réalisateur Richard Phelan, "en s’intéressant aux optiques avec lesquelles ils ont été filmés, à leur format, aux plans complexes de Kubrick et à la manière de Spielberg d’orchestrer les mouvements de ses personnages dans le champ. Transposer ces effets de mise en scène en animation est incroyablement délicat. On ne peut pas se contenter de dire "pour ce plan, la caméra panote."
Selon la co-productrice exécutive Carla Shelley, qui travaille chez Aardman depuis plus de trente ans, les auteurs de Shaun se sont entrentenus avec leurs partenaires américains qui voulaient que Shaun finisse par parler. "C’était un vrai sacrilège ! Non seulement on a refusé cette proposition mais on a adopté le parti-pris inverse. Shaun ne parle pas, un point c’est tout, car c’est son identité propre et que les gens l’aiment comme ça depuis longtemps. Quand Shaun a fait son apparition, c’était un personnage secondaire, comme un pion dans l’univers de Wallace et Gromit. Et regardez le chemin qu’il a parcouru depuis !"
Quand les auteurs ont commencé à réfléchir à ce nouveau projet, ils voulaient montrer que Shaun avait un peu mûri. "On a donc imaginé un nouveau personnage qui l’oblige à grandir pour bien s’en occuper. C’est donc LU-LA. Il s’agit d’une jeune extraterrestre qui s’est écrasée sur Terre et qui a besoin de Shaun pour rentrer chez elle. C’est une figurine unique dans l’univers Aardman. Elle est très souple, elle se déplace à une vitesse incomparable et elle a de grands yeux ronds.", explique Richard Phelan. Le nom de la nouvelle amie de Shaun est un hommage au cinquantième anniversaire de l’alunissage en juillet 2019.
Les créateurs de Shaun avaient une idée vague du personnage de LU-LA. Ils savaient qu’il lui fallait tel ou tel pouvoir pour accomplir telle ou telle chose. Les graphistes ont réfléchi et ont conçu des centaines de dessins en imaginant des versions délirantes du personnage. "Puis, l’un des graphistes a dessiné un OVNI avec une petite fusée fixée en-dessous. C’était une simple esquisse et elle était parfaite. Il faut se demander ce qui fonctionne dans l’univers de Shaun parce qu’il était essentiel qu’en se retrouvant à côté de nos personnages familiers, LU-LA semble appartenir à leur monde. Et c’était le cas." se souvient Richard Phelan.
Selon le scénariste Mark Burton, l'équipe a beaucoup fait évoluer le personnage. "À un moment donné, on a évoqué ses facultés. Il fallait mettre en valeur sa vulnérabilité et son innocence, montrer que les aliens pouvaient être aussi terrorisés et sensibles que n’importe qui. C’est Amalia Vitale qui lui prête sa voix et celle-lui lui va très bien. C’est alors qu’on s’est rendu compte qu’on tenait notre personnage ! On recherchait ce mélange d’innocence et d’insolence."
Le compositeur Tom Howe a commencé par écrire le thème de LU-LA car c’est elle qui est motrice dans l’intrigue et que sa folie est fascinante. Alors que Shaun peut envoyer une balle et casser une vitre, elle est capable de soulever des tracteurs par lévitation. Le chaos qu’elle provoque est de bien plus grande ampleur ! "Pour les sonorités qu’elle émet, j’ai utilisé un plug-in qui imite le son d’un vieil appareil appelé "crystalliser". Ça lui donne un petit côté étrange et pétillant. L’instrument le plus important la concernant est la célesta. J’y ai ajouté un peu de réverbe pour accentuer l’étrangeté. Dès que j’ai entendu le résultat, j’ai su que je tenais quelque chose. Je l’ai envoyé à Aardman et ils ont adoré. Ils l’ont intégré aux musiques temporaires et elle y est restée jusqu’au bout."
Au départ, dans le scénario, il y avait deux agents, un peu comme dans Men In Black. "On s’était dit que l’un des deux était du côté du bien et qu’elle acceptait la présence des extraterrestres, et que l’autre était du côté du mal et assez xénophobe mais ça compliquait inutilement l’histoire si bien qu’on a supprimé un des deux agents. Pour que les méchants soient convaincants, il faut comprendre pourquoi ils agissent ainsi : ils se comportent mal mais ils ont peut-être leurs raisons. C’est important : il nous fallait identifier ce qui anime Agent Rouge, outre le simple fait d’être une teigneuse", confie le scénariste Mark Burton. Cela a pris pas mal de temps de trouver le bon équilibre entre son parcours et les images – sans dialogue – pour permettre au spectateur de la comprendre. "Elle n’est pas cruelle – elle est déterminée", ajoute le réalisatur Richard Phelan.
Si les films Aardman s’exportent aussi bien, c’est pour la même raison que Mr Bean, selon le producteur Paul Kewley. "Ils relèvent d’un humour burlesque universel. En Allemagne, le public pense que Shaun a été conçu en Allemagne, c’est la même chose au Japon et au Moyen Orient. Il est comme Chuck Norris. Le cinéma d’action s’exporte partout. Et le burlesque aussi."
La ferme contre-attaque est le premier long métrage co-réalisé par Richard Phelan et Will Becher, ce qui s’est accompagné de pas mal de pression sur leurs épaules. Le projet a commencé avec de simples Post-it collés au mur pour élaborer l’intrigue il y a près de trois ans. Puis, il a fallu piloter 35 équipes de tournage et la construction de 70 décors sur mesure, sans oublier la mise en musique du film dans les célèbres studios Abbey Road à Londres.
Richard Phelan et Will Becher ont d’abord travaillé chacun de son côté chez Aardman pendant quelque temps, avec Phelan à l’écriture et Becher à l’animation. Après avoir été réunis par Paul Kewley, ils se sont transformés en une créature à deux têtes chargée d’embarquer sur un tout nouveau territoire une société emblématique de la culture britannique des quarante dernières années. "Et c’est en partie ce qui nous a attirés : l’occasion de signer le premier film de science-fiction d’Aardman", raconte Becher.
La musique a toujours distingué les films de Shaun des autres productions Aardman. Dans le premier film, on entendait des titres de Foo Fighters et Primal Scream. Dans ce nouvel opus, nous avons quatre chansons originales spécialement écrites pour le film : Kylie Minogue et les Vaccines ont collaboré pour le titre "Lazy", Jorja Smith en a composé un.
"La musique de beaucoup de mes films préférés a été composée à Abbey Road" (le studio des Beatles), révèle le compositeur Tom Howe. "Comme dans la plupart des studios, l’acoustique y est excellente. Par ailleurs, le plus souvent, la composition est un exercice très solitaire, si bien qu’avoir la possibilité de travailler avec des musiciens que je connais et que je respecte est exaltant. La musique que j’ai écrite pour ce film est complexe et très rythmée mais ils s’y sont pris à merveille. C’est une formation importante. Avec le choeur, on avait plus de cent personnes dans l’orchestre."
La base souterraine (le repaire sinistre du gouvernement) évoque beaucoup On ne vit que deux fois. C’est le plus vaste intérieur jamais construit par le studio Aardman, qui en est très fier. Il fallait qu’il fasse cette taille parce qu’à un moment donné, un vaisseau spatial y atterrit. Au départ, l’Agent Rouge était très proche de l’univers de James Bond mais elle a évolué par la suite. Malgré ce changement, l'équipe conservé le style de la base parce qu’elle avait le sentiment qu’il correspondait bien à l’esprit du film. La base s’appelle MAD, ou Ministère de la Détection d’Aliens. Elle est installée là depuis très longtemps même si elle n’avait jamais repéré d’OVNI jusque-là. D’où l’inspiration de l’univers de James Bond puisque cet endroit remonte aux années 60, époque des premiers films de l’agent britannique.
Pour ce film, les équipes ont réalisé environ 50 à 70 décors en tout. Le département artistique est autonome et fonctionne presque comme un cabinet d’architecte. Il comprend 35 équipes de tournage travaillant simultanément quand elles fonctionnent à plein régime. Il y a environ 28 animateurs dont certains sont prêts à intervenir en cas de besoin. "Même si on peut avoir l’impression qu’un tel tournage avance lentement par rapport à un film en prises de vues réelles, en réalité, on tourne à plein régime. Les décors doivent pouvoir accueillir, outre les caméras, les animateurs. On dirait des géants quand ils sont là-bas. Il faut parfois faire coulisser les panneaux pour qu’ils puissent y entrer puis les refermer derrière eux", indique Richard Phelan.