Le premier titre du film était Le Grand Homme, mais l’expression avait un accent caustique que le réalisateur Michel Hazanavicius n’aimait pas.
"Elle pouvait prêter à malentendu. En revanche le côté « belmondesque » du Redoutable me plaisait : on peut penser au Marginal, à L’Incorrigible, au Magnifique… Et j’aime aussi que le mot puisse s’entendre de façon à la fois positive et négative : dire de quelqu’un qu’il est redoutable, cela peut être aussi bien un compliment qu’un reproche. Enfin j’aimais l’idée d’utiliser le gimmick « Ainsi va la vie au bord du redoutable
», et même de finir le film avec lui. Cela donne une petite touche ironique que j'aime bien", explique le metteur en scène.
Le Redoutable est inspiré du livre Un an après écrit par l'ex femme de Jean-Luc Godard, Anne Wiazemsky. Michel Hazanavicius est tombé par hasard sur ce bouquin dans une gare alors qu'il cherchait quelque chose à lire pour son trajet en train.
"Le Redoutable comporte quelques éléments tirés d’Une année studieuse, mais l’essentiel vient d’Un an après. Quand je l’ai contactée par téléphone, Anne Wiazemsky avait déjà refusé plusieurs offres d’adaptation. Elle ne tenait pas à ce que ce livre devienne un film. Je me souviens que, juste avant de raccrocher, je lui ai dit que je trouvais cela d’autant plus dommage que le livre m’avait paru très drôle. Elle a tout de suite réagi en disant qu’elle aussi trouvait cela très drôle, mais que jusqu’à présent personne ne lui en avait fait la remarque. C’est ainsi que tout a commencé", confie le réalisateur.
Le Redoutable revient sur la période de la sortie du film La Chinoise de Godard, film qui a connu un échec cuisant. En effet, le public a été déconcerté par ce film jugé trop "sérieux" de la part du cinéaste ; les gens souhaitaient en effet le voir revenir vers des longs-métrages plus drôles comme ceux avec Belmondo.
Michel Hazanavicius tenait à mettre en scène les événements de Mai 68 à travers l'histoire de Jean-Luc Godard et Anne Wiazemsky :
"Mai 68 a peu été représenté par le cinéma français. J’avais envie d’y remettre un souffle, des couleurs, de l’élan, de la joie. C'était important car ces images montrent pour moi le respect au premier degré de cet esprit de Mai 68. Le film est parfois irrévérencieux, voire moqueur avec Godard, et je ne voulais pas maltraiter Mai 68. Je trouvais qu'il y avait là un danger de procès anachronique, ou d'ironie déplacée vis à vis de toute une époque. Respecter cette énergie, mettre en scène les foules, cette jeunesse, ses visages, ces slogans, me semblait être la plus grande marque de respect que je pouvais montrer à l'égard de Mai 68. C'est aussi un moyen de mettre un point fixe, au premier degré, autour duquel le personnage de Godard peut se décaler, permettant ainsi de la comédie", analyse le réalisateur.
Michel Hazanavicius ne souhaitait pas mettre en scène un biopic conventionnel avec Le Redoutable ; ainsi, il ne montre pas le cinéaste au travail par exemple. Il explique :
"D’abord parce que ce n'est pas un film "sur Godard", c'est une histoire d'amour. Il ne s'agissait pas de faire une thèse sur Godard, ni même un biopic. Et puis il y a autre chose. Un réalisateur n’est pas un sauteur à perche, il n’y a pas un moment où, soudain, tout se cristallise pour donner lieu à un exploit. Il n'y a pas de performance. C’est un long travail, laborieux… Et puis, si j’avais filmé Godard au travail, il aurait fallu que je l’entoure d’acteurs présentant une vague ressemblance avec les originaux, Jean-Pierre Léaud, Raoul Coutard, ou encore Jeanne Moreau, François Truffaut… Je ne voulais pas."
Michel Hazanavicius nous livre sa vision du personnage de Jean-Luc Godard et la manière dont il a voulu le dépeindre dans Le Redoutable :
"Godard n’est pas un homme gentil, il n’a jamais cherché à l’être. Comment réaliser un film sur un personnage destructeur et paradoxal ? J’aurais pu gommer toutes les aspérités pour en faire une figure entièrement positive et lui ériger une statue, mais j'aurais eu l'impression de le trahir. Dans son parcours, et notamment à cette époque, Godard a pu se montrer dur, sans concession : il fallait montrer cela. Godard a été très violent, il s'est mal comporté publiquement avec de nombreuses personnes… Cela étant, je n’avais aucune envie de le critiquer ou d’instruire a posteriori un procès contre lui. Même pour maoïsme. C’est pourquoi, très tôt, je me souviens avoir noté dans un coin qu’il fallait que je lui laisse, littéralement, le dernier mot. Ce que j'ai fait. Mais c'est vrai que c’était un des enjeux du film, trouver le bon équilibre… Entre l'aspect destructeur du personnage et l'empathie que je voulais qu'on ait pour lui."
Michel Hazanavicius explique le choix d'engager Louis Garrel pour interpréter Jean-Luc Godard :
"Louis a su amener toute une gamme de nuances pour humaniser le personnage. Mais plus profondément, il porte en lui quelque chose qui le rend crédible dans ce genre d'univers, avec ce genre de problématique, ce vocabulaire. Au-delà de Godard, on peut voir qu'il comprend ce qu'il dit. Il a à la fois un côté élitaire, très pointu, et un potentiel comique énorme, qui convient parfaitement au cinéma populaire que j'aime faire."
Jean-Luc Godard n'a pas du tout été impliqué dans le processus de création du Redoutable. Michel Hazanavicius confie avoir envoyé le scénario au réalisateur et lui avoir écrit une lettre. Godard, fidèle à lui-même, n'a jamais fait de retours sur le script et ne souhaite pas voir le film.
Michel Hazanavicius et Louis Garrel navaient pas la même vision de l'interprétation de Jean-Luc Godard. Le metteur en scène revient sur la façon dont il a travaillé avec le comédien pour construire le personnage :
"Louis pensait à séduire les spectateurs qui adorent Godard, et moi ceux qui ne l’aiment pas ou qui – ils sont beaucoup plus nombreux – n’en pensent rien de particulier. Louis était le garant d'un grand respect pour le vrai Jean-Luc Godard, là où j'avais tendance à le tordre un peu plus pour améliorer mon Jean-Luc de fiction. Pour caricaturer, je dirais qu’il le tirait du côté de la révérence, et moi du côté de l’irrévérence. Mais autant je me suis accaparé Godard, autant Louis a fait de même. Et mon Godard est devenu le sien. Au final, le personnage est un croisement entre le vrai Godard, la vision qu'en a eue Anne Wiazemsky, la mienne, et l'incarnation de Louis."
Michel Hazanavicius a choisi la jeune comédienne Stacy Martin, révélée dans Nymphomaniac de Lars Von Trier, pour camper Anne Wiazemsky, la femme de Godard à l'époque :
"Bérénice Béjo a joué avec elle dans The Childhood of a leader, de Brady Corbet. Elle tournait en Bulgarie, je l’y ai rejointe pour quelques jours, et c’est là que j’ai fait la connaissance de Stacy. Quand j'ai commencé à chercher une jeune actrice, Bérénice m'a soufflé son nom, je l'ai appelée, elle est venue faire des essais et c'était plié. Son choix s’est imposé comme une évidence. Stacy ressemble à une jeune femme des années 1960. Elle est née à Paris, mais elle vit à Londres et a passé une partie de son enfance à l’étranger, elle a une pointe d’accent, et son phrasé possède quelque chose d’intemporel qui me plaît beaucoup. Il y a dans son visage une beauté tragique, un peu distante, qui permet au spectateur de se raconter plein d'histoires. D'y greffer plein de sentiments, plein de nuances. Elle a un visage de films muets, un peu à la Garbo", confie le cinéaste.