Film surprenant à plus d’un titre, "I… comme Icare" peut être considéré, aujourd’hui, comme l’ancêtre du "JFK" d’Oliver Stone, chef d’oeuvre méconnu qui est, accessoirement, mon film préféré. En effet, 15 ans avant Hollywood, le réalisateur Henri Verneuil (plus connu pour ses films policiers à l’ancienne avec Gabin, Belmondo, Delon, Ventura et autres…) s’intéressait à l’assassinat du Président américain Kennedy et aux aberrations de la version officielle servie par la Commission Warren. Pourtant, Verneuil fait le choix de ne pas se livrer à un documentaire et s’autorise, ainsi, quelques libertés avec les faits réels afin d’aller au-delà de la simple enquête sur l’attentat présidentiel. On ne s’étonnera, donc, pas que le réalisateur ait changé le nom de tous les protagonistes (point de Kennedy, de Oswald ou de Garrison ici) et qu’il ait déplacé l’intrigue dans un pays imaginaire… cette façon de procéder ayant permis d’éviter, d’une part, d’éventuelles difficultés juridiques avec les autorités américaines et, d’autre part, de conférer à l’intrigue un ton plus universel. Car, "I… comme Icare" est avant tout une critique féroce des sociétés modernes et plus précisément des comploteurs qui, dans l’ombre, font et défont les gouvernements sans se soucier de la moindre morale... en comptant sur l’obéissance du peuple et sa soumission à l’autorité. Ce sujet, étonnement brûlant pour un réalisateur comme Verneuil (qui ne nous avait pas habitué à de telles prises de position), est parfaitement résumé par la (longue) scène reprenant l’expérience de Milgram, qui démontre qu’une personne persuadé d’obéir aux autorités en présence est parfaitement capable de faire du mal à n’importe qui, sans se sentir coupable. Bien que son importance soit un peu disproportionnée, cette séquence est parfaitement glaçante et sert parfaitement le propos du film. Elle permet, également, d’apporter, aujourd’hui, une véritable valeur ajoutée à ce "I… comme Icare" et ferait presque oublier ses défauts formels. Car la réalisation n’est pas exempte de défaut, à commencer par des effets de mise en scène datés (le ralenti final, le rythme parfois un peu plan-plan…) voir d’erreurs grossières (la vidéo amateur de l’attentat qui bénéficie d’un montage et d’angles dignes d’un professionnel… on est loin des found footage d’aujourd’hui). On pardonne, cependant, bien volontiers ces défauts au vu du sérieux avec lequel Verneuil a su restituer cette atmosphère anxiogène, à coups de décors exploités de façon épatante (difficile de croire qu’on se trouve à Cergy-Pontoise !), de musique oppressante (le fantastique Ennio Morricone à la baguette) et de silences assourdissants, avec, en point d’orgue un final extraordinaire à tout point de vue (la danger permanent, la découverte des origines du complot, le mystère entourant l’Opération Icare…) et qui refuse intelligemment tout happy end. On se croirait presque dans une production américaine des années 70. Il faut, enfin, saluer le souci de simplification du scénario, qui ne se perd pas dans un dédale de sous-intrigues et d’intervenants de toutes sortes (qui serait pourtant plus conforme à la réalité) pour se concentrer, au contraire, sur la thèse défendue par le réalisateur… et, par extension, par le Procureur Garrison, renommé ici Volney et interprété par un épatant Yves Montand. L’acteur ne surprend pas tant par l’extraordinaire charisme de son personnage (pétri d’intégrité et jusqu’auboutiste) que par la sobriété de son jeu, malgré un maquillage qui aurait pu le faire sombrer dans le cabotinage. L’interprétation du monstre sacré et l’attention toute particulière que lui porte le réalisateur (il est presque de tous les plans) vient, sans surprise, éclipser ses partenaires (tout au plus, retiendra-t-on Pierre Vernier et Jean-François Garreaud en collaborateurs ou encore Jacques Serreys en chef des services secrets). Peut-être que qu’un casting plus étoffé et une mise en scène moins datée auraient permis au film de figurer, aujourd’hui, au Panthéon des classiques du 7e art français au lieu d’être régulièrement oublié dans la filmographie du grand Montand. Il n’en demeure pas moins que "I… comme Icare" est un grand film visionnaire qui mérite d’être redécouvert, son sujet n’ayant jamais cessé d’être d’actualité…